À la rencontre d’une société malienne

Les Maliens remercient constamment l’étranger d’avoir quitté famille, amis et confort et d’avoir fait un si long voyage pour aller les rencontrer… Ils sont alors prêts à tout donner. Le Mali 2007, voilà comment je surnomme ce voyage, puisqu’il s’agissait du second en cette terre d’accueil. Cela peut sembler banal, mais je tiens à différencier ce voyage du premier puisqu’à mes yeux, il est différent en tout point, exception faite de l’accueil chaleureux que nous ont réservé les Maliens. Le Mali est un pays enclavé de l’Afrique de l’Ouest dont le nord se compose principalement du désert du Sahara et de ses populations nomades – les Touaregs. La plupart d’entre vous avez déjà entendu parler de Tombouctou, cité mythique du nord du Mali. Le Mali n’est pas différent des autres pays de la région. L’importante famine de 1983-1984 nous rappelle que ce pays est à la merci de la pluviométrie. Encore en 2005, 1,5 million de Maliens étaient touchés par une grave crise alimentaire. Cette année, j’y accompagnais un groupe de neuf étudiants au baccalauréat en politique appliquée de l’université de Sherbrooke dans le cadre d’une étude sur la décentralisation et sur la gouvernance locale. Ce stage d’une durée de trois mois était chapeauté par le Carrefour de Solidarité internationale de Sherbrooke (CSI). Cette organisation, qui consiste en un regroupement d’organismes, travaille entre autres, comme son nom l’indique, pour la solidarité internationale et pour la justice sociale. Pour ce faire, le CSI a établi depuis maintenant plus de trente ans des partenariats avec des ONG de quelques pays en développement, notamment à Kilabo au Mali, pour y réaliser des stages et des projets de développement. Le but du stage était dans un premier temps de déterminer de quelle façon les institutions participent à l’élaboration des politiques au Mali et de quelle façon les ONG participent à l’influence des politiques aux niveaux national et international. Dans un second temps, à un niveau local, il fallait déterminer le niveau de participation des citoyens dans leur communauté et évaluer de quelle façon ces gens participent aux élections et à la vie politique de leur localité, tout en vérifiant leur degré de connaissances relatives aux institutions. Pour ce faire, nous avons eu la chance d’aller à la rencontre d’une multitude d’acteurs. En si peu de mots, malheureusement, je ne pourrais vous raconter le Mali dans toutes ses subtilités. Si j’en étais à mon premier voyage, je vous parlerais de « l’acclimatation », c’est-à-dire l’adaptation au climat, mais aussi aux moustiques et aux conditions de vie rustiques qui composent notre quotidien : les motos, la kola, les habits colorés, sans oublier le thé et l’arbre à pa-labres. Il s’agit d’un pays dont nous avons tout à apprendre. Il faut se laisser bercer par son riche passé : le Mali a vu régner plusieurs empires. Ce pays a beaucoup de différences avec le nôtre (le Canada). Disons qu’il est facile d’y être dépaysé. Pour vous donner un aperçu, le pays est à 90% musulman et on pratique la polygamie dans une proportion d’environ 40%. Il s’agit d’un pays marqué du sceau du patriarcat. Or, le Mali, c’est aussi une jeune démocratie qui date du 22 mars 1991. Voilà la réalité que j’ai côtoyée au Mali cette année : une démocratie à peine âgée de seize ans. La démocratie existe dans le pays et elle est inspirante pour les cousins sur le continent africain. Je dirais toutefois qu’elle existe davantage sur papier que dans la réalité : elle est fragile. Ce n’est pas que je n’y crois pas, loin de là, mais ce que j’ai compris cette année, au fil des entretiens, c’est qu’on a beau se donner les structures qu’on veut, il faut que les gens les connaissent et les comprennent, que le contexte s’y prête et qu’on ait suffisamment de ressources pour y arriver… ce qui n’est pas toujours le cas.
De plus, implanter un système consiste en une chose et changer des mentalités en est une autre. On a beau dire à la population que le pouvoir est entre leurs mains, en tant que citoyens, et qu’ils devraient revendiquer leurs droits, mais quand l’on a grandi dans un système patriarcal dont l’autorité était hiérarchique et que l’on a vécu à la merci du commandant sous le régime colonial et à la merci d’un président militaire sous un régime totalitaire, il ne te vient pas, du jour au lendemain, l’idée et la capacité de critiquer, de revendiquer et surtout de t’exprimer avec une entière liberté. Il y a souvent une certaine réserve. En fait, voyager et travailler à l’étranger m’ont permis, justement, de conceptualiser les mots et de comprendre leurs implications dans la pratique au quotidien : comprendre les nuances dont sont teintés des concepts tels les politiques d’ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI) et la démocratie, pour ne nommer que ceux-ci, dont nous faisons usage courant dans nos dissertations (dans notre domaine d’études bien entendu). Les lettres qui composent ces mots changent de signification. Les limites se dessinent tranquillement. Je n’arrive pas à dire si je comprends mieux ou pas les impacts de ces phénomènes étant donné leur relative complexité. Or, au gré des rencontres, j’ai tenté de mettre les différents faits et opinions ensemble pour en former un tout, à la manière d’un casse-tête afin d’y voir une œuvre d’ensemble. La démocratie Effectivement, selon les textes, la plupart des structures permettent aux citoyens de se prendre en main et de faire valoir leurs opinions. Or, il n’en demeure pas moins que ces cadres laissent paraître les traces des anciennes structures coloniales où toutes les décisions émanaient du commandant. Dans les faits, les citoyens ont tous les pouvoirs. Or, par écrit, une structure parallèle représentant le gouvernement est toujours présente. Il s’agit souvent du pouvoir de tutelle. Bien que ce ne soit pas de la même ampleur, cela me rappelle tout de même la façon dont était dirigée la province avant que le « gouvernement responsable » ne soit instauré au Québec. Puis, d’un autre côté, il y a le processus électoral… très démocratique. Je ne remettrai pas en question les structures, mais on a beau mettre le meilleur système en place, si les citoyens ne connaissent pas pleinement la façon de procéder, s’ils ne sont pas pleinement outillés pour exercer leur devoir de citoyen, il n’en demeure pas moins que les élections ne seront ni efficaces, ni représentatives. À titre d’exemple, pour aller voter, les Maliens doivent présenter une carte d’électeur de même qu’une carte d’identité avec photo. Tout ça semble plus que normal quand on y pense ici. Or, quand on n’a pas d’acte de naissance, qu’on ne connaît pas bien sa date de naissance et qu’on ne sait pas signer son nom, ce simple détail d’identification prend des proportions considérables. Alors que fait-on ? Soit qu’on empêche la majorité des habitants des campagnes de voter, soit qu’on fasse preuve de laxisme sur ce règlement et alors plusieurs peuvent en profiter. Les règles du jeu ne doivent-elles pas être adaptées à la réalité ? La crise du coton L’un des problèmes majeurs que vit la population malienne présentement est directement relié au coton. Élève modèle du FMI, le Mali est en train d’assister à la privatisation de la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT) et petit à petit, les acquis s’évaporent. Pour vous expliquer brièvement, selon les données, cette compagnie étatique serait un gouffre sans fond qui, à l’heure actuelle, est tout sauf rentable. Or, en vous disant cela, j’entends un paysan malien me dire : « Oui, mais pendant que c’était la seule chose qui rapportait des sous dans les caisses du gouvernement, les fonctionnaires, eux, ne s’en plaignaient pas. La CMDT était la vache à lait de l’État. C’est elle qui assurait un certain revenu à l’État, mais aussi à ses employés. Ils pourraient nous aider maintenant que nous avons besoin d’eux… » Or, le processus est enclenché. Les paysans ne savent pas tous que d’ici quelques années, le coton malien est appelé à disparaître vu son niveau de compétitivité quasi nul sur le marché international face au dumping. Un voyage en terre étrangère constitue aussi l’occasion de discussions avec ses habitants. On essaie tant bien que mal de comprendre ce que l’autre vit et d’écouter chaque opinion, chaque point de vue, pour dresser un portrait, mais jamais nous ne serons près de la réalité. Ce que je comprends, à partir des paysans et des différentes populations locales, c’est que la CMDT n’est pas seulement une compagnie d’État qui facilite la culture, la transformation et la vente du coton à leurs yeux. Il s’agit d’une entreprise qui a formé des villageois, qui les a alphabétisés pour qu’ils puissent répondre devant elle. Ils ont appris à compter et à calculer. C’est une entreprise qui leur permet de trouver les intrants, notamment des engrais, leur permettant une certaine récolte de coton, mais aussi d’assurer du coup la récolte de leur petite parcelle maraîchère. Au fil des rencontres que nous faisons, nous croyons que certaines personnes sont de mauvaise foi ou que d’autres ne cherchent que leurs intérêts. Il y a des journées où l’on se demande ce que nous faisons là, commençant à penser que tout est perdu et que rien ne changera jamais. Or, il y a d’autres jours où nous rencontrons des gens qui y croient vraiment, des gens qui ont su s’organiser pour faire une différence. Il y a les associations de femmes, où elles se permettent de s’exprimer et de faire valoir leurs besoins. Il y a des tontines où elles réunissent quelques petits sous ici et là pour aider l’une de leurs comparses à préparer le trousseau de sa fille à la veille de son mariage. Il y a aussi les fédérations paysannes. J’ai vu des villages entiers se mobiliser pour créer des stocks de céréales. Avec les étudiants, j’ai eu la chance de rencontrer différents membres des institutions de la république dans la capitale à Bamako. J’ai aussi rencontré différents agents techniques de l’État, des professeurs et des employés de l’État au niveau local, sans compter les citoyens, à savoir les femmes, les jeunes et les sages, les élus locaux (les maires et leurs conseillers). Bref, j’ai eu la chance de faire une multitude de rencontres. Je sais que ce mot revient souvent quand je vous parle de ce voyage au Mali, mais c’est ainsi que j’ai découvert le pays. La qualité d’un voyage en fait, n’est-ce pas le nombre et surtout la qualité des nombreuses rencontres et le temps accordé pour elles ? N’y a-t-il pas de plus belle façon d’apprendre et de découvrir un pays, une culture, une histoire et une société que lorsqu’elle nous est racontée ?

À la rencontre d’une société malienne
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