Chronique : France : L’État policier

Un homme sorti de nulle part m’aborde alors que je marche tranquillement vers nulle part.  Bonjour monsieur, contrôle d’identité. Je vous demanderais de sortir vos mains de vos poches et de présenter vos papiers d’identité. J’obtempère, un peu surpris. Mais en donnant mon passeport à la femme qui l’accompagnait et que je n’avais pas remarqué tout de suite, je me rappelle que j’ai des droits en tant que citoyen devant ces deux présumés policiers en civil. Seuls leurs talkie-walkie et un brassard orange avec l’inscription « police » peuvent agir comme preuves de leur appartenance aux forces de l’ordre. Je me rappelle que j’ai des droits, mais je ne me rappelle pas exactement de ces droits. Ont-ils besoin d’un mandat pour me fouiller ?  Puis-je voir vos papiers aussi s’il-vous-plaît, demandai-je poliment.
 Bien sûr. Sortez-vos mains de vos poches, me rappelle-t-il après que je les y ai remises par inadvertance. L’agent sort son badge, que j’examine par deux fois, sans grande attention. Simplement pour montrer que je connais un peu mes droits.  C’est un vrai, se sent-il le besoin d’ajouter. Je me sens démuni face à ma faible connaissance de mes droits citoyens devant des gens qui m’arrêtent sans autre raison que celle de ressembler à un inoffensif consommateur régulier de drogues douces. Inoffensif, donc facile à arrêter, en cas de possession de substances illiicites. Une proie facile pour ceux qui doivent nous défendre.  Nous voulons simplement vérifier que vous n’avez pas d’objets dangereux ou de stupéfiants, me dit-il toujours poliment et professionnellement. Je vide mes poches, j’ouvre tous les compartiments de mon sac en bandoulière, je me laisse tripoter les coutures par l’agent. Je suis à son entière disposition, à sa merci. Calme, coopératif, soumis. Comme un bon citoyen qui accepte qu’on le dérange dans sa promenade d’après-midi au nom de la « sécurité ».  Vous êtes Canadien ? Vous êtes touriste ? Je collabore, je réponds, je me dévoile. Je ne sais même pas si j’ai le droit de refuser de répondre à ces questions, à cette violation, aussi petite soit-elle, de mon intimité citoyenne. De toute façon je n’ai rien à me reprocher. Et je n’ai pas le luxe de m’attirer des troubles inutiles avec les autorités françaises, d’autant plus que j’ai bien l’intention d’attraper mon avion le lendemain. Alors je me soumets, un peu par peur, par méconnaissance de ce que je peux ou non dire et faire. J’aurais dû leur demander s’il s’agissait d’une nouvelle technique de lutte contre le crime instaurée au cours des 100 derniers jours, depuis l’entrée en fonction du président Nicolas Sarkozy. L’ancien ministre de l’Intérieur – donc ancien « premier flic de France » – a fait de la « lutte contre l’insécurité » et du « rétablissement de l’autorité républicaine » des priorités de son premier mandat. Entre autres mesures, il a demandé que soit établi un plan de vidéosurveillance des quartiers sensibles. Il a aussi annoncé que « les peines minimales d’emprisonnement seront applicables aux mineurs multirécivistes de plus de 16 ans » et sa ministre de la Justice, Rachida Dati, a signé un décret pour généraliser l’utilisation du bracelet électronique mobile, même « au-delà » de la libération conditionnelle. Les mesures prises par Nicolas Sarkozy et Rachida Dati feront évidemment augmenter le nombre de détenus dans les prisons françaises, et les principaux intéressés ne s’en cachent pas. Au 1er juillet, le nombre de détenus en France était de 61 810 personnes, le plus haut niveau depuis 2004. Le taux de surpopulation carcérale en France atteint déjà 122%. Au nom de la sécurité républicaine française, le simple citoyen devra désormais se mettre à la disposition des forces de l’ordre à tout moment, même s’il n’est en apparence coupable, victime ou témoin de rien de particulier. Il n’a de libertés et de droits que ceux que la police lui permet d’avoir, gracieusement. Cette idéologie est connue sous le nom d’État policier. Je reproduis ici la section importante de l’article 78-2 du code de procédure pénal. Selon cet article, les policiers n’avaient aucun droit de m’arrêter et encore moins de me fouiller. Mais puisque tout cela laisse une large place à l’interprétation… Extrait :
[…] Les officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1º peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner :
 qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ;
 ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit ;
 ou qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ;
 ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire.
Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d’infractions qu’il précise, l’identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat. Le fait que le contrôle d’identité révèle des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.
L’identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens.[…]

Chronique : France : L’État policier
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