De nouvelles bases pour une autre gouvernance européenne

Dans un passé encore récent, l’Europe a vécu plusieurs traumatismes tels que le rejet du traité constitutionnel ou la querelle budgétaire de 2005. Aujourd’hui, les affaires européennes vont mieux. Mieux, mais pas parfaitement. Économiquement, l’Union européenne (UE) ne fait pas preuve d’une santé exemplaire. En effet, on peut pointer du doigt plusieurs phénomènes regrettables tels que le regain du nationalisme économique, dans le secteur de l’énergie avec Suez et GDF notamment, mais aussi en Espagne, de même que dans le secteur bancaire (Italie, Pologne). Ainsi, l’enjeu énergétique est une nouveauté pour l’Europe qui se doit de réagir d’un seul homme face à la conjoncture politico-économique actuelle. L’énergie devient de la sorte une question de définition pour l’UE, alors qu’elle ne l’était pas du tout aux origines de la construction européenne. Au rayon des ralentissements, on peut également souligner une certaine fatigue de l’intégration des nouveaux États membres. Pendant quinze ans, l’adhésion a constitué un objectif pour les nouveaux membres ; mais alors qu’aujourd’hui c’est une réalité, ces États se retournent vers le niveau national pour répondre aux nouveaux enjeux, ne voyant pas quels bénéfices l’intégration européenne pourrait leur apporter. Ce type d’attitude peut être regrettable, bien qu’il soit aussi compréhensible. Enfin, les performances économiques de l’UE (et plus précisément de la zone Euro) sont assez faibles à l’heure actuelle. Au point que certains en viennent à s’interroger sur l’opportunité de l’UE comme le bon niveau d’action. On risque en effet de voir un retour aux actions nationales, préférées à la convergence communautaire. En bref, 50 ans après le Traité de Rome, l’UE fait l’objet de nombreux doutes dans la sphère économique. Bien sûr qu’il y en a déjà eu auparavant… mais il convient toutefois de s’intéresser plus spécialement à deux questions. Les biens publics européens La première problématique a trait au concept de « biens publics européens », c’est-à-dire les fonctions spécifiques devant être assurées par l’UE. Quelles sont-elles ? Cette question a longtemps été évitée par le partage des compétences entre l’échelon communautaire et l’échelon national. D’autres démarches comme la création du principe de subsidiarité à Maastricht ou l’idée d’établir une liste de compétences propres de l’UE (déclaration de Laeken) ont eu peu de résultats concrets. Au niveau économique, les tentatives de réponses à cette question-clé restent peu satisfaisantes. Ainsi, Gordon Brown, qui définissait l’UE comme « un bloc commercial amené à devenir une union politique », constatait que ce lien entre intégration économique et politique n’était plus possible aujourd’hui car la mondialisation dépasse l’UE. C’est pourquoi le ministre de l’Économie et des Finances britannique conclut que l’UE aurait perdu sa raison d’être économique de ses débuts, mais ne serait pas non plus devenue un projet politique. On en veut pour illustration que les champions économiques actuels ne sont plus nationaux, qu’ils ne sont pas davantage européens, mais plutôt internationaux. L’UE ne pourrait donc plus se définir à partir de l’intégration négative. « L’UE a besoin de bases alternatives au marché unique » D’autre part, on se rend compte aujourd’hui qu’il n’y a pas que l’économie, mais aussi l’histoire, le droit, les langues, la distance… De plus, les États membres font parfois preuve de mauvaise volonté par rapport au marché unique, dont le rendement décroissant peut être illustré par la Directive « services ». Enfin, il faut aussi admettre qu’il existe de plus en plus un espace de normalisation supra-européen. Ce constat nous amène à nous demander sur quoi doit se baser l’UE, si ce n’est pas sur le marché unique. À cette question, M. Pisani-Ferry propose trois types de réponses économiques, qui ne nécessitent pas plus d’intégration politique. Premièrement, il existe en effet des biens publics régionaux européens ; ensuite, il faut engager des actions communes des États membres au niveau international, lorsqu’il y a des préférences européennes ; et enfin, il faut un pouvoir de marché collectif. Cette proposition recèle divers avantages : non seulement, on n’irait pas vers plus de protectionnisme, mais en plus, les débouchés seraient multiples (environnement, enseignement, énergie, immigration). La seconde problématique abordée par l’expert de la gouvernance économique européenne qu’est M. Pisani-Ferry est précisément celle du modèle de gouvernance. Ainsi, plusieurs débats émaillent actuellement la construction européenne, comme celui ayant trait à la stratégie de Lisbonne. Parmi ces controverses, certaines ont été tranchées par des débats intellectuels alors que d’autres dossiers n’ont quasiment pas avancé. Cependant, plusieurs questions restent lancinantes, ce qu’il faut pourtant éviter. Selon l’ancien professeur de l’IEE de l’Université Libre de Bruxelles, il y a trois types d’explication à ces solutions qui n’en sont pas, à ces impasses : au niveau économique, il arrive que certaines décisions n’aient qu’une portée pratique limitée ; pour mettre en œuvre efficacement les politiques européennes, comme l’union monétaire par exemple, il manque une véritable communauté politique derrière celles-ci ; enfin, il subsiste une hésitation entre la conception de l’ordre concurrentiel (entre les États membres, et positif pour ceux-ci) et la conception de l’ordre souverain, supranational, le processus d’intégration ayant mené à un compromis entre les deux. Mais aujourd’hui, la dynamique semble épuisée, notamment en raison de l’élargissement (davantage d’Etats membres étant en faveur de l’ordre concurrentiel). En définitive, on constate une résistance de cette forme intermédiaire de gouvernance. Or, celle-ci n’a qu’une faible productivité par rapport à de grandes attentes. Mais, à terme, cela risque de mener à un refus de ce type de gouvernance qui, lui-même, pourrait déboucher sur une clarification. En conclusion, l’éminent économiste français propose certains ajustements dans la mécanique européenne. Ainsi, il faudrait commencer par simplifier le partage des responsabilités entre l’UE et les Etats membres. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il serait préférable d’établir une liste de compétences de l’Union, car les priorités européennes peuvent évoluer très rapidement, comme l’énergie et l’immigration qui n’étaient pas prioritaires il y a dix ans. D’autre part, la tension réelle qui pèse dans la construction européenne est liée à cette tension entre « soutenabilité » politique et performances économiques. Afin de sortir de ce malaise, il est devenu indispensable d’ouvrir un véritable dialogue entre plusieurs domaines tels que l’économie, la politique et le droit. Les ajustements qui en découleront devraient permettre une intégration plus efficace et, dans un premier temps, redonner de nouvelles bases à l’Europe pour repartir du bon pied. Le 10 octobre dernier, l’économiste français Jean Pisani-Ferry, directeur du prestigieux « think tank » BRUEGEL (BRussels European and Global Economic Laboratory), était l’invité de la séance académique de rentrée de l’Institut d’Études Européennes (IEE) de l’Université Libre de Bruxelles.

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