Derrière le phénomène Obama

Rares sont ceux qui auraient parié leur chemise sur la forte possibilité qu’un Noir accède au bureau ovale de la Maison Blanche. C’est l’avis de Jean-François Lisée, directeur exécutif du Centre d’études et de recherche internationale de l’Université de Montréal
(CÉRIUM) et ex-conseiller des premiers ministres Jacques Parizeau et Lucien Bouchard : « C’est exceptionnel. Personne n’aurait pu penser que ça arriverait il y a cinq ou six ans de cela. Il y a eu un espoir avec Colin Powell. Le fait d’avoir été militaire lui donnait de la crédibilité. » La question raciale est un incontournable quand il est question d’Obama, dans un pays toujours hanté par ses vieux démons. Cependant, il se distance de ses prédécesseurs tels qu’Edward Brooke, premier Afro-Américain élu au Sénat en 1966, et le pasteur Jesse Jackson, deuxième à l’investiture démocrate de 1988. « Ce qui explique le fait que le cas d’Obama est différent, c’est d’abord que ses racines sont multiples. Mais c’est aussi une personne de l’époque post-raciale. Il incarne la nouvelle génération qui ne culpabilise pas les Blancs. Il n’est pas un accusateur », soutient l’ancien conseiller Jean-François Lisée. La possibilité de voir le sénateur de l’Illinois se retrouver aux portes de la plus haute fonction du pays n’est certes pas banale, mais il n’en demeure pas moins que les États-Unis sont peut-être le pays occidental le plus près d’élire un membre d’une minorité visible à un tel poste. « Les Américains sont capables de ces rebondissements spectaculaires », analyse pour sa part Louis Balthazar. L’ancien professeur émérite du département de science politique de l’UL croit que « l’abolition de l’esclavage par Lincoln en a fait un très grand président et les droits accordés (aux Noirs) par Kennedy et Johnson sont quelque chose dont les Américains sont très fiers. Il y aura sans doute des obstacles sérieux, de profondes résistances, mais il me semble que les Américains sont prêts », ajoute le professeur retraité. D’ailleurs, Obama bénéficie du soutien de Ted Kennedy, frère de John F., ainsi que du rédacteur de discours de ce dernier, Ted Sorensen. Le candidat du changement et de la rupture Si Barack Obama, âgé de seulement 46 ans, se retrouve en bonne posture, c’est surtout « qu’il offre le changement le plus important. Il offre la jeunesse et un changement de tonalité », affirme Jean-François Lisée. De plus, l’ancien étudiant de l’Université Columbia et d’Harvard propose une rupture entre une éventuelle présidence de sa part et le régime actuel de
George W. Bush. Favorable à l’avortement, Obama promet aussi de nommer des juges libéraux à la Cour suprême du pays, où le président Bush a fait le plein de conservateurs. Férocement opposé à la guerre en Irak depuis 2002, le sénateur de l’Illinois s’est entouré d’une équipe ayant la même vision, en plus de s’engager à retirer graduellement les troupes. Louis Balthazar pose un bémol face à cette tâche délicate : « Le défi pour les démocrates sera de partir de l’Irak sans qu’ils aient l’air de hisser le drapeau blanc. Il faudra être capable de ne pas faire croire à une victoire d’Al Quaïda ». Obama fait également le pari audacieux d’établir les bases d’un dialogue avec l’Iran et la Syrie. Étudiante américaine à l’Université McGill en développement international, Michal Waldfogel considère qu’un des grands changements proposés par le candidat démocrate est son éloignement de l’establishment du parti, représenté par Hillary Clinton. Louis Balthazar voit aussi que, contrairement à l’ex-première dame, Obama entend se débarrasser des lobbyistes et de tous les groupes d’intérêts qui entourent les Clinton. Unifier le pays Brooke Rothman, Américaine étudiant aussi à McGill, affirme qu’un changement important présenté par Obama repose sur l’unité qu’il souhaite offrir au pays : « Il est au milieu de l’échiquier politique. Son discours va chercher beaucoup de jeunes. Il ouvre la porte à tout le monde ». Dans un pays longtemps divisé par la question raciale et les clans politiques, l’effet d’unification que le candidat pourrait entraîner représente probablement une piste de solution à de nombreux problèmes comme la guerre en Irak et l’économie chancelante.
Dans un ouvrage paru au tournant des années 2000, le réputé sociologue américain William Julius Wilson soutenait la thèse que les Américains ne pourront atteindre de buts communs tant qu’ils seront divisés en différents groupes et qu’ils ne surpasseront l’idée que les frictions raciales font simplement partie de la vie américaine. Le rêve américain se pointe-t-il de nouveau à l’horizon ? Photo : Barak Obama, photo officielle tirée de son site Internet

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