Jeunes filles dansant autour d’un obélisque

Avant d’aborder Jeunes filles dansant autour d’un obélisque, il est essentiel de dire quelques mots sur la franc-maçonnerie. Cette organisation discrète demeure complexe et difficile à traiter, car elle est entourée de mystères, de rituels, de symboles, de grades, que seuls les francs-maçons peuvent comprendre comme le dit si bien le Frère Procope en 1744, cité par Roger Dachez : « Pour le public un franc-maçon sera toujours un vrai problème qu’il ne saurait résoudre qu’en devenant maçon lui-même » [1]. Néanmoins, nous pouvons dire qu’il s’agit d’une organisation philosophique, qui a pour objectif de libérer les hommes de leurs préjugés à travers une société initiatique qui favorise l’introspection par l’étude des symboles et des mythes. L’Association 5997 explique le but de l’organisation ainsi : « Il ne s’agit pas d’une simple acquisition de connaissances par l’étude, mais d’une recherche illimitée et personnelle fondée sur l’analyse de la symbolique de toutes choses, qui fait appel certes à la raison du franc-maçon, mais également à son intuition et à son imagination » [2]. La franc-maçonnerie est constituée de francs-maçons qui s’organisent en loge. Une loge est associée à plusieurs autres pour former une fédération qu’on appelle obédience. De nombreuses obédiences adhérant à différentes croyances philosophiques et religieuses constituent la franc-maçonnerie. Dans la France pré-révolutionnaire, la franc-maçonnerie incarne la « fusion des élites ». Elle tisse une fraternité nouvelle qui se trouve à l’extérieur du cadre politique et qui favorise des valeurs comme la tolérance et la liberté. La franc-maçonnerie s’oppose peu, sans le vouloir, à la Monarchie et au Clergé à cause des valeurs qu’elle préconise comme le dit Charles Porset : « Assez inoffensive au plan politique, c’est sur le terrain des idées et de l’encyclopédisme philosophique que la maçonnerie intervient au XVIIIe siècle » [3]. Parmi les loges qui ont particulièrement marqué l’histoire de France, on retrouve la loge des Neuf Sœurs. Celle-ci a été fondée en 1776 par Lalande, un astronome athée, qui avait pour but de réunir les plus grands intellectuels du moment, de promouvoir la philosophie maçonnique, de participer au progrès de l’humanité et au projet des Lumières. Voltaire, Delilles, Vernet, Lezay-Marnésia, Roucher, Greuze, Houdon, Stroganov, d’Alembert et Robert ont tous fait partis de cette loge. Jeunes filles dansant autour d’un obélisque, sans être un tableau typiquement maçonnique, proposant des symboles précis et codés, révèle l’influence de la franc-maçonnerie par les valeurs qu’il suggère. Au premier plan, on voit neuf jeunes filles qui font une carmagnole autour d’un obélisque en ruine. Elles sont vêtues de robe blanche dans un style antique. Elles portent à la taille des rubans de couleurs bleu et rouge. D’abord, nous pouvons établir un rapport entre les neuf jeunes filles du tableau et les neuf muses, qui, dans l’Antiquité, célébraient les arts libéraux et en l’honneur desquelles, la loge des Neuf sœurs avait été fondée. Jean de Cayeux, le plus grand biographe de Robert, rappelle l’origine du nom de la célèbre loge : « L’appellation de la Loge des Neuf Sœurs, en référence aux Muses, disait bien son objet et l’orientation de son recrutement » [4]. Également, les couleurs des vêtements des jeunes filles sont celles du drapeau républicain français, qui évoque le slogan : « liberté, égalité et fraternité ». Ces valeurs sont les piliers de la société maçonnique selon Daniel Ligou : « C’est la grande découverte de Barruel pour qui le mystère essentiel des maçons consiste essentiellement dans le secret des termes de « liberté » et d’« égalité » comme étant la base même de la conception maçonnique » [5]. La fraternité semble être représentée par la chaîne d’union formée par les jeunes filles qui se tiennent par la main. Jean-François Daudin définit la chaîne d’union ainsi : « […] la chaîne d’union est un signe d’union fraternelle, chacun des frères représentant un maillon d’une chaîne universelle qui unit les hommes de toutes la Terre, quelle que soit leur origine. C’est également un symbole transgénérationnel, liant les vivants et les morts, venant des maîtres passés qui formaient hier le cercle et en tendant vers l’avenir » [6]. Le motif de l’obélisque brisé évoque possiblement la chute de l’Ancien Régime. Il rappelle aussi la régénération de la France, car le visage (situé au bas de l’obélisque) autour duquel les jeunes filles dansent, ressemble étrangement à celui d’une statue d’Osiris-Antinoüs conservée au Musée du Capitole à Rome, où Robert a étudié les vestiges antiques pendant onze ans (1755-1766). Pour les francs-maçons, Osiris et Isis ont une signification particulière comme le dit Françoise Dunand : « Le grand maître anglais George Smith (1783) voit dans le mythe égyptien la source d’inspiration des « mystères » de la maçonnerie : « Osiris et Isis représentent théologiquement l’Etre suprême et l’universelle nature, et physiquement les deux grands luminaires, le soleil et la lune, dont l’influence s’étend à toute la nature. » » [7]. Selon la légende, Isis aurait ressuscité Osiris, qui avait été assassiné suite à un complot organisé par son frère, Seth. Sous la Révolution, les spéculations autour de cette légende prennent des proportions démesurées qui dépassent l’organisation franc-maçonnique. Plusieurs historiens développent des thèses qui tentent de prouver que la ville de Paris aurait été fondée en l’honneur d’Isis. Ainsi, les parisiens protégés par Isis, symbole de la régénération, surmonteraient et triompheraient de tous les obstacles dont l’effondrement du régime monarchique. Ces théories aujourd’hui démenties, sont exploitées par les artistes tout au long de la décennie révolutionnaire pour montrer que Paris et la France toute entière renaîtront après la Terreur. En terminant, nous pouvons ajouter que le tableau Jeunes filles dansant autour d’un obélisque peint par Robert en 1798, l’année de la Campagne en Égypte, est probablement en lien avec cet événement d’autant plus que Bonaparte était franc-maçon et qu’il incarnait la future République et ses valeurs « liberté, égalité et fraternité ». Bernard Baudoin explique qu’il aurait été initié en Égypte, terre d’origine des valeurs franc-maçonniques, malgré qu’aucun document ne le prouve : « On s’interrogera beaucoup sur les rapports entre Napoléon et la franc-maçonnerie. Bien qu’aucun document officiel ne l’atteste, tout porte à croire qu’il est initié lors de la campagne d’Égypte » [8]. [1] DACHEZ, Roger, « Les deux courants de l’histoire maçonnique au temps des Lumières. De la quête intérieure à la tentation du siècle », Franc-maçonnerie. Avenir d’une tradition. Chemins initiatiques, Alfil éditions. Musée des beaux-arts de Tours, Neuvy-le-Roi, 1997, p. 74. [2] ASSOCIATION 5997, « Qu’est-ce que la franc-maçonnerie ? », Franc-maçonnerie. Avenir d’une tradition. Chemins initiatiques, Alfil éditions. Musée des beaux-arts de Tours, Neuvy-le-Roi, 1997, p. 18. [3] ASSOCIATION 5997, « Qu’est-ce que la franc-maçonnerie ? », Franc-maçonnerie. Avenir d’une tradition. Chemins initiatiques, Alfil éditions. Musée des beaux-arts de Tours, Neuvy-le-Roi, 1997, p. 35. [4] CAYEUX, Jean de, « La franc-maçonnerie », Hubert Robert, Fayard, Paris, 1989, p. 184 [5] LIGOU, Daniel, « Le « complot » de liberté-égalité », Franc-maçonnerie et Révolution française, Chiron Detrad, Paris, 1989, p.29. [6] DAUDIN, Jean-François, « Chaîne d’union », l’Abcdaire de la franc-maçonnerie, Flammarion, Paris, 2000, p. 31. [7] DUNAND, Françoise, « Isis et la franc-maçonnerie », Isis. Mère des Dieux, Errance, Paris, 2000, p.178 [8] BAUDOIN, Bernard, La franc-maçonnerie. Un chemin initiatique humaniste, Vecchi, Paris, 1995, p.50

Jeunes filles dansant autour d’un obélisque
En savoir plus =>  Entrevue avec Frédérick Lavoie
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