Les institutions de Bretton Woods en crise de légitimité

Au cours des 20 dernières années, il y a eu une augmentation des inégalités sociales en Amérique latine. C’est le triste constat que rendait un rapport de 2007 produit par la Commission économique pour l’Amérique latine (CEPAL), organisme agissant sous l’égide des Nations unies. Ce rapport tombe on ne peut plus mal pour les institutions de Bretton Woods déjà embourbées dans une crise de légitimité, elles qui ont été très présentes dans la région au cours des deux dernières décennies. La situation a même amené Dominique Strauss-Kahn, nouveau directeur du Fonds monétaire international (FMI) à dire que « l’institution même était en jeu face à la grogne des pays pauvres ». Selon Stéphanie Rousseau, professeure de sociologie à l’Université Laval, « on peut effectivement affirmer qu’il y a à l’heure actuelle une crise de légitimité ». Elle en veut pour preuve les négociation du Cycle de Doha de l’OMC qui sont sur la glace depuis maintenant plus de deux ans puisque « plusieurs pays du Sud n’acceptent plus les conditions du commerce international fixées par les grandes puissances occidentales ». Sylvain Dessy, professeur d’économique à l’Université Laval croit de son côté qu’il faille distinguer entre « crise passagère et crise structurelle » et que ces « faits divers » n’achèveront pas ces institutions qui roulent leur bosse depuis leur création lors de la Conférence de Bretton Woods dans le New Hamshire en 1944 (ndlr :1947 pour le GATT). Cependant, selon la professeure Rousseau, « il y a 15 ans, nous n’aurions pas assisté à la démission du président de la BM pour ce genre de raison [ndlr : à savoir, octroyer un poste à sa petite amie sans appel de candidature public] ». Elle explique que le climat actuel fait en sorte que « les institution de Bretton Woods sont de plus en plus observées et des gouvernements sont davantage enclins à dénoncer les malversations de la BM. » Les PAS au banc des accusés Au moment de la crise de la dette de 1982, au régime soviétique débilité sont venus s’ajouter les échecs patents des modèles de développement fondés sur des approches « radicales » et « structuralistes » comme l’Industrialisation par substitution des importations (ISI) mis à l’essai en Amérique latine. Cette conjoncture a eu pour effet d’instiller l’idée que le modèle capitaliste à l’américaine était la seule voie de développement pour les gouvernements des pays du Sud. Les Programmes d’ajustements structuraux (PAS) proposés par le FMI et la BM ont donc pu être appliqués sans trop de résistance. À l’heure des bilans, plusieurs observateurs affirment que ce sont ces derniers qui ont décrédibilisé le système de Bretton Woods. Sylvain Dessy pose une sérieuse question : « connaissez vous un seul pays qui s’est sorti du sous-développement grâce au FMI ou à la BM ? » Les PAS procédaient de l’idée que les Pays en développement (PED) n’étaient pas adaptés à l’économie mondiale. Jacques B. Gélinas décrit la recette proposée par les PAS de la façon suivante : « c’était le néolibéralisme, les privatisations, la déréglementation, la libre-circulations des capitaux, la réduction des dépenses sociales imposés aux pays émergents car leur disait-on, en réformant leurs structures selon ces préceptes, ils allaient arriver à se développer. C’est quelque chose d’assez incroyable non ? » Jacques B. Gélinas, professeur de sociologie du développement retraité de l’Université d’Ottawa, coopérant pendant plus d’une décennie et auteur de nombreux ouvrages raconte avec un brin d’amertume l’histoire que lui a un jour confiée le ministre des Finances du Tchad. Étant donné que son pays croulait sous les dettes et que les taux d’intérêts mirobolants ne lui permettaient plus d’honorer ses dus, le FMI l’a obligé à héberger un fonctionnaire du Fonds à côté de son propre bureau. Ledit fonctionnaire a donc commencé à lui dicter comment gérer ses finances publiques. C’est de cette façon qu’étaient appliqués les PAS qui furent pratiqués dans la majeure partie des pays dits du Tiers-monde. « Vingt ans plus tard, plus d’une centaine de pays soumis aux PAS ont reculé par rapport à leur niveau de développement des années 1980 » de spécifier M. Gélinas. La professeure Stéphanie Rousseau abonde dans le même sens en affirmant que bien que leurs effets négatifs soient connus depuis plusieurs années, « les PAS sont en grande partie responsables de la perte de légitimité actuelle de la BM et du FMI ». Ils auraient contribué à « l’accroissement des inégalités sociales, à l’incapacité des pays de développer et maintenir des industries nationales qui ont un potentiel d’entraîner le développement d’autres secteurs et permettant de réinvestir au niveau national ». Lorsqu’on lui lance que la plupart des PED ont affiché une croissance économique positive au cours des vingt dernières années, Mme Rousseau rétorque que les principales sources de croissance ont été « dans des secteurs spécifiques ». Particulièrement ceux « dans lesquels les capitaux sont arrivés en masse, notamment les secteurs qui auparavant étaient gérés par l’État, et que l’on a privatisé dans le cadre des PAS pour soit disant, régler la dette ». De plus, la croissance en question a été « premièrement appropriée par les investisseurs étrangers, et en deuxième lieu par les États qui ont continué à rembourser la dette ». Donc la production de richesse dans ces pays s’est fait « au profit des multinationales qui ont investi et des institutions financières plus largement, puisque la ponction que les États du Sud arrivaient à prélever de cette croissance servait désormais à rembourser la dette », d’expliquer Mme Rousseau. Les travailleurs n’ont donc pas bénéficié des fruits de cette croissance. Cette thèse de Mme Rousseau est confirmée par la théorie que propose l’économiste de l’Université Laval Bernard Beaudreau dans son livre World Trade : A Network Approach. Selon ce dernier, le commerce international s’effectue à l’intérieur de réseaux bien définis. En clair, les citoyens des pays du Sud qui font partie des réseaux des investissements étrangers dans leurs pays, furent les principaux bénéficiaires de la croissance économique. Les autres furent gardés en marge des gains. Cette thèse de M. Beaudreau est aussi corroborée par les résultats rendus par la CEPAL en 2007, et cités plus haut, selon lesquels les inégalités ont cru en Amérique latine au cours des vingt dernières années. En contre-partie, Mme Rousseau concède certains aspects positifs aux PAS. Elle affirme qu’en Amérique latine, au Moyen-orient et en Afrique « il y a eu une stabilisation économique qui est liée aux PAS, car ils forçaient les États à mettre de l’ordre dans leurs finances, à assurer une gestion financière et fiscale plus rigoureuse et équilibrée ». La Banque du sud À la suite de la débâcle des PAS, les pays du Sud envisagent-ils de se détourner du capitalisme ? Mme Rousseau n’entrevoit pas une remise en question réelle du modèle de développement capitaliste. « À part le Venezuela, il n’y a pas de pays qui rejettent réellement le modèle à l’heure actuelle. Et encore, il faudra voir ce que le « Socialisme du 21e siècle » comporte exactement ». N’empêche que mis à part Fidel Castro, les États-Unis n’ont pas eu à marcher avec un caillou aussi gros dans leur soulier que Hugo Chavez et sa Révolution bolivarienne. Au delà de son discours anti-américain, ce dernier est en train de créer une institution financière qui se veut une alternative au FMI et à la BM : « Banco del Sur », ou la Banque du Sud. Et le projet fait du chemin. Lors d’une rencontre des membres tenue à Rio de Janeiro, au Brésil, le 8 octobre 2007 qui avait pour but de planifier le début officiel des activités de l’institution, prévu pour le 3 novembre prochain, sept nations latino-américaines étaient de la partie. À savoir : l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, l’Équateur, le Nicaragua, le Paraguay, Uruguay et bien sûr, le Venezuela. De plus, contre toute attente, le 13 octobre dernier, le gouvernement colombien d’Alvaro Uribe Velez, allié indéfectible de Washington, a fait une requête formelle afin de devenir membre de Banco del Sur. L’intention de la Banque du Sud est de prêter de l’argent à des taux préférentiels aux nations latino-américaines pour la construction de programmes sociaux et d’infrastructures. Il sera loisible à tous les pays, du Mexique à la Terre de feu, de contracter un prêt de Banco del Sur, pour autant que leurs projets cadrent avec les objectifs de l’institution. Tous les pays auront un droit de vote du même poids dans ses instances décisionnelles, peu importe leur puissance économique. La création de Banco del Sur, selon Jacques B. Gélinas, « est un signe de l’effritement du pouvoir du système international financier de Bretton Woods ». Le travail est terminé ! Jacques B. Gélinas ne se dirait pas surpris que dans un avenir plus ou moins rapproché, nous assistions à la désactivation des institutions de Bretton Woods. Mais pas uniquement pour les questions de légitimité qui ont surgi sur la scène médiatique en 2007. « Elles ont fini leur job ! » conclut-il. Depuis le départ, leur mandat était d’ouvrir les pays du Tiers-monde au marché, au libre échange et à la libre-circulation des capitaux. « C’est maintenant chose faite » ajoute-t-il. Selon lui, l’OMC est en voie de prendre le relais du FMI et de la BM dans l’intégration au marché global des pays sous-développés ou maldéveloppés qui ont presque tous signé les accords de l’OMC.

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