Santé délocalisée, écarts creusés ?

Le tourisme médical existe et n’est désormais plus réservé à la seule chirurgie esthétique. Depuis 2004 et l’entrée de nouveaux pays dans l’Union européenne, la mobilité des citoyens européens n’a cessé de croître, entraînant l’augmentation des migrations médicales. Ainsi il suffit maintenant de partir quelques jours en Hongrie pour pouvoir afficher un sourire de star, sans se ruiner pour autant. Sauf que derrière des publicités alléchantes, il n’est pas rare de pâtir du manque de qualité des soins, exécutés à toute allure le plus souvent. Fabien Cohen, dentiste salarié et Secrétaire Général du Syndicat National des Chirurgiens-Dentistes de Centres de Santé (SNCDCS), déplore : « même si le phénomène est encore relativement nouveau, j’ai déjà repris plusieurs patients dont les prothèses s’étaient très vite dégradées à leur retour ». Une possible montée en puissance Le phénomène reste encore assez marginal puisque la Commission européenne estime qu’actuellement moins de 1% de tous les remboursements sont consacrés aux soins transfrontaliers. Il est cependant actuellement impossible d’en faire une évaluation précise. La délocalisation de la santé semble pourtant être vouée à se renforcer et pour Gérard Corsi, président de l’Union Nationale Patronale des Prothésistes Dentaires (UNPPD) : « chaque nouveau pays entrant dans l’Union européenne va sans doute chercher à rivaliser avec les services déjà offerts pour s’assurer les faveurs des patients ». Incontestablement, même s’il faut ajouter le prix du billet et des nuits d’hôtel, les tarifs proposés restent ultra compétitifs, alors pourquoi se priver ? D’autant plus qu’avec Internet, les offres pullulent. Favorisée, la concurrence commence donc à jouer et, une fois n’est pas coutume, c’est aux dépens des patients. Méfiance donc. Pour Markos Kyprianou, commissaire européen en charge de la Santé, la libre circulation des services s’applique aussi aux soins de santé et il estime par conséquent que les citoyens de l’Union doivent pouvoir y acheter des prestations partout. Sur ces déclarations, Fabien Cohen, s’indigne : « en Europe, le tourisme médical n’est qu’une réponse politique, économique et sociale au problème de la mondialisation ; aujourd’hui les soins sont malheureusement en passe d’être libéralisés ». Qui sont ces touristes d’un nouveau genre ? Assurément, ceux qui vont se faire soigner à l’étranger souhaitent faire des économies, mais cela ne suffit pas. En effet, comment imaginer s’expatrier si l’on n’a pas l’habitude de voyager ? Enfin, quand on connaît la multitude des offres, mieux vaut prendre le temps de se renseigner sur les types de contrats. Peu concernées par les voyages, les classes populaires ne pratiquent pas le tourisme médical. Les plus riches quant à eux peuvent s’offrir l’ensemble des soins dispensés dans leur pays. En définitive, le phénomène s’adresse essentiellement aux « middle-class ». Dans le but avoué d’économiser, ces cadres moyens supérieurs sont donc les principaux patients à partir quelques jours dans les cliniques d’Europe centrale où le coût de la main d’oeuvre est quasi dérisoire. En outre les migrations médicales en Europe sont de natures très variées. Le programme de recherche « Europe for patients » distingue, par exemple, le cas des Britanniques qui franchissent la Manche pour se faire soigner plus rapidement, ou encore celui des Autrichiens prêts à traverser la frontière slovène pour bénéficier d’un système de santé moins coûteux. Protégée par un système de soins plutôt efficace, la France quant à elle ne s’est vue concurrencée que sur les soins peu ou pas remboursés, les implants dentaires en particulier. Une grande simplicité d’accès Pour trouver des offres, Internet évidemment, mais sur simple demande téléphonique, l’office du tourisme hongrois à Paris vous envoie quelques dépliants sur les principales cliniques du pays dans lesquelles le personnel parle évidemment français. Le système est bien rodé : vous envoyez votre demande par mail et le jour même la clinique vous répond avec devis et dates à partir desquelles vous pouvez venir vous faire soigner (compter trois semaines en moyenne). Côté garanties, c’est de un à cinq ans, selon la publicité et les contrats prévus. En France, les professionnels du tourisme n’ont pas le droit de vendre des actes chirurgicaux, ils y perdraient leur licence et les assureurs ne les couvriraient pas. Chez de nombreux voisins, c’est autorisé. La direction générale de la santé demande donc aux personnes qui seraient tentées par l’aventure de « prendre pleinement conscience des immenses risques qu’elles encourent en achetant ce type de forfait ». En effet, vers qui se tourner en cas de complications ? Vous pouvez toujours retourner sur place mais, étrangement, vous serez alors loin d’être prioritaire et votre séjour risquerait de durer bien plus longtemps que la première fois… plus si rentable, donc. La santé, une nouvelle entreprise ? Concernant la consultation publique sur “la prestation des services de santé transfrontaliers”, son responsable, Markos Kyprianou, déclare : « l’expérience a montré l’exigence d’un cadre clair et concret pour concilier les choix individuels avec la viabilité d’ensemble des systèmes de santé et de protection sociale ». Mais un tel cadre ne conduira-t-il pas à l’instauration d’une santé à trois vitesses : le « panier de soins » pour les plus défavorisés, les cliniques étrangères pour les classes moyennes et des cliniques françaises de luxe pour les plus fortunés ? Le commissaire grec est aussi favorable à la création de pôles européens de santé, permettant aux patients de tirer au mieux profit des domaines d’excellence médicale, propres à chaque pays. Pas encore interrogé pour cette consultation, Fabien Cohen considère qu’avec ces mesures, « l’Europe tente d’installer un système d’ultralibéralisme ». C’est le risque…

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