Chronique : Pourquoi Poutine est populaire

Mon amie a grandi dans la Russie post-soviétique. En 1995, elle avait 10 ans. En plein durant les années les plus dures de la nouvelle Russie capitaliste, lorsque tuer un opposant « économique » était la norme, la normalité. Elle se rappelle aussi d’aller au marché avec sa mère, un petit appareil pour vérifier la justesse des balances à fruits et légumes en poche. « On pouvait te donner 800g de tomates au lieu du kilo indiqué ». Sur plusieurs kilos, ça fait beaucoup d’argent. C’était il y a une décennie, dans la Russie d’Eltsine. Ou plutôt dans celle des oligarques, ces puissants hommes d’affaires qui ont fait leur fortune avec la privatisation des biens de l’État. Ce sont eux qui contrôlaient de facto le pays devant un président aux facultés affaiblies, se battant sans foi ni loi pour encore plus de pouvoir et d’argent. C’était dans cette Russie où le rouble était loin d’être une monnaie stable, où les commerçants, même les plus petits, devaient donner un pourcentage de leurs ventes à la mafia pour être « protégés ». C’était dans cette Russie où personne ne pouvait faire confiance à personne, et encore moins à l’État. *** Au jourd’hui, l’âge d’or des tueurs à gage est terminée. Il est encore possible de commander un meurtre chez un professionnel, mais cela se fait de moins en moins souvent. Il peut même arriver que le tueur – voire les commanditaires du crime – soient arrêtés, jugés et condamnés ( !). Dans les marchés, là où les gens ordinaires achètent leur nourriture (un produit essentiel à la survie humaine, faut-il le rappeler…), les balances sont certifiées conformes par la direction des marchés. Cette période de stabilisation après le chaos est arrivée au moment où Vladimir Poutine régnait sur le Kremlin, de 2000 à aujourd’hui. Coïcidence ou incidence ? Probablement un peu des deux. Et difficile de supputer à savoir comment un autre leader s’en serait sorti à sa place. Mais il a tout le loisir de prendre à son compte les succès de la Russie actuelle. Et ses ratés peuvent être classés dans la catégorie des « difficultés de la stabilisation ». En mars 2008, il devra quitter la présidence. La Constitution russe lui empêche de se présenter pour plus de deux mandats consécutifs (ce dernier mot a son importance). Le peuple se demande ce qu’il fera sans son leader stabilisateur, qui possède après plus de 7 ans de présidence une côte de popularité supérieure à 70%. Plusieurs lui demandent d’ailleurs de changer la Constitution pour pouvoir se présenter à nouveau en mars, mais il a à maintes reprises rejeté cette possibilité. Cette Constitution, qui date de 1993, confère un pouvoir extrêmement fort à l’exécutif (la présidence). Vladimir Poutine semble donc indispensable aujourd’hui en Russie : pratiquement tout passe entre ses mains.
*** L’Occident dit aux Russes : Il est autoritaire, votre leader adoré ! La majorité russe répond : Peut-être, mais il a mis de l’ordre dans la maison. Les lendemains sont un peu plus sûrs. On peut se faire confiance entre nous, ne serait-ce qu’un peu. On ne se fait plus tuer pour rien ou pour peu. On mange. Et en plus, il nous a redonné une fierté d’être russe, notamment en vous narguant, politiquement et militairement.
*** Vladimir Poutine partira en mars prochain. Certains croient qu’il conservera le pouvoir en nommant un successeur qu’il pourra manipuler à sa guise, pour revenir en 2012. La Constitution ne lui empêche pas en effet de se présenter pour une troisième mandat non-consécutif des deux premiers. D’autres croient qu’il en a assez du pouvoir, qu’il n’a jamais vraiment aimé ça, lui, l’ancien agent du KGB, qui avait toujours vécu dans l’ombre jusqu’à ce que Boris Eltsine le nomme premier ministre en août 1999. Et de toute façon, si Vladimir Poutine a eu autant de pouvoir et a su l’utiliser, alors le prochain président en aura lui aussi assez pour devenir aussi populaire et indispensable. S’il est assez habile. Et il pourra peut-être même tenir le pouvoir assez solidement pour s’assurer que Poutine ne puisse y revenir en 2012. Que Poutine parte définitivement ou revienne dans quatre ans, il restera pour les Russes celui qui a stabilisé la Russie et lui a redonné cette fierté perdue avec l’effondrement de l’Empire soviétique. D’où sa popularité. Et pour la majorité des Russes – comme pour la majorité des habitants de n’importe quel pays en qui se « relève » – manger et pouvoir sortir dans la rue sans se faire tirer dessus est plus important que le « caprice » de la démocratie. En situation de survie ou de stabilisation, la démocratie et même la justice et l’égalité ne sont pas des priorités. Quoi que puissent en penser nos idéaux. C’est pourquoi Poutine le non-démocrate stabilisateur est populaire. Excellente analyse
J’ai l’age de ton amie, j’ai vecu en russie et je me retrouve parfaitement dans l’image des russes que tu as decrit. Bravo Fréd ! Bravo pour ton article Frédérick, Il y en a beaucoup qui se disent journalistes ou experts, mais qui n’arrivent pas à avoir la clémence et la logique pour porter un jugement aussi explicite et fondé sur Poutine comme tu l’as fait. Ils réfusent de comprendre que le monde a changé, et qu’on ne peut plus se permettre d’accepter qu’un seul pays dicte sa loi à tout le monde. Où tous les hommes politiques qui se disent justes et démocrates, préfèrent faire du beni-oui oui, au lieu de lever le petit doigt même en 2 secondes pour dire non, on ne peut plus continuer comme ca. Les occidentaux et surtout les europeens doivent avoir le courages de dire « non » dans certaines circonstance aux américains, de ne plus les suivre comme des petits domestiques. Il est temps que les europeens prennent en main leur responsabilité, il ne faut pas se contenter de voir le mal et de crier haut et fort dans les faits et gestes des russes, et de voir que le bien, tout en s’allignant derrière les actes stupides des américains. Dans les prochaines années le monde va chauffer, le monde va bouleverser, ce serait irresponsable de rendre les russes à eux seuls responsable des ses bouleversements…. Patizan… Bravo Fred. Je continue à lire tes articles avec beaucoup d’intérêt. À bientôt vieux. Nico (Steinbach)

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