Cuba : Un demi-siècle sans droit à l’information

Je reviens de Cuba après un séjour à lire et entendre la propagande du régime castriste. Il faut me remettre au diapason de l’actualité nationale et internationale. Dans les quotidiens québécois sur lesquels je mets la main dès mon entrée dans l’avion, je lis sur les sans-abris, la violence dans les écoles, les scandales politiques. À Cuba, c’était sur Fidel Castro qui se remettait bien de son opération, son frère Raúl qui avait fait bonne impression lors du sommet des pays non-alignés la semaine précédente, la détermination du peuple cubain qui lui permettra de prospérer malgré l’arrogance des États-Unis. Alors que les problèmes s’accumulent au Québec, tout va pour le mieux au pays des frères Castro. Du moins, c’est le message envoyé. Et pourtant… Les journaux cubains ne résument que les hauts faits du régime et publient les discours politiques, qui ne sont pas toujours reproduits en intégralité en raison de la pénurie de papier. Pas plus utiles, la radio et la télévision reprennent les mêmes nouvelles sous le même angle. « Ce journal ne vaut rien, mais au moins ça me permet de savoir ce qui se passe dans mon pays », m’a expliqué un Cubain qui me conduisait à l’aéroport en parlant du quotidien Granma internacional. Les quelques journalistes indépendants informent uniquement par Internet, qui est pratiquement inaccessible pour les Cubains. La grande majorité des Cubains n’ont pas d’ordinateur, et on me dit qu’une connexion à la maison est interdite. Interdit aussi d’utiliser les services des hotels, qui sont réservés aux touristes – parfois sur présentation du passeport seulement. Dans les centres de communication pour Cubains, l’accès coûte généralement 6 $ l’heure, alors qu’ils en gagent entre 10 et 30 $ par mois. On comprendra qu’on ne passe pas des heures à lire nouvelles et opinions indépendantes sur le Web. Quant à ceux qui tentent de faire circuler l’information indépendante à l’intérieur du pays, le régime les considère comme des ennemis de l’État, ce qui les entraîne souvent derrière les barreaux pendant des années. En fait, mieux vaut être à l’extérieur de Cuba pour lire ce qui se passe à l’intérieur du pays. En marchant dans la rue avec un Cubain qui me parle de son travail à la fabrique de tabac, un policier s’interpose. « Pourquoi parles-tu avec cet étranger ? Tu sais que tu ne peux pas. » J’invente alors une histoire pour ne pas le mettre dans l’embarras. Le policier demande néanmoins la carte d’identité du Cubain pour mettre une note à son dossier. On ne me demande rien. Il ne faudrait surtout pas offenser un étranger, l’industrie touristique étant devenue la première source d’argent au pays. D’autres policiers seront d’ailleurs plus diplomates, m’expliquant qu’ils interviennent pour s’assurer que les Cubains n’achalent pas les touristes. Mais la présence policière a un autre objectif évident : limiter l’échange d’information. Les étrangers pourraient apprendre que le Cuba des Cubains ne se résume pas aux paradis touristiques de Varadero ou Cayo Coco, et les Cubains risqueraient de s’ouvrir sur le monde et souhaiter un changement de régime. Reste que pour l’heure, ils n’en sont pas là. Les Cubains sont beaucoup plus préoccupés à améliorer leur conditions économiques individuelles qu’à se mobiliser pour modifier l’ensemble de leur système politique. Pour des millions de vacanciers, Cuba est synonyme de soleil, plage, rhum, cigare, salsa. L’île permet de s’évader de la réalité quotidienne. À l’inverse, la « perle des Caraïbes » est plutôt une prison de laquelle des millions de Cubains voudraient s’évader. Les nouvelles y arrivent au compte-goutte, et la possibilité de s’informer se limitent aux communications avec les touristes ou la famille à l’étranger. L’information que nous faisons circuler a donc une portée beaucoup plus importante qu’on pourrait l’imaginer. Elle représente un outil non négligeable pour que les Cubains reprennent le contrôle de leur pays et en exploitent pleinement son potentiel. À mon retour à Montréal, j’apprends que c’est la semaine canadienne du droit de savoir. Reste à travailler pour que les Cubains aient un jour le leur…

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