Global versus local : Changements climatiques et santé des Inuits

Le Dr. Éric Dewailly, directeur du centre de recherche Nasivvik pour la santé des Inuits et les changements environnementaux, et chercheur en santé publique depuis plus de 20 ans, explique que cet engouement pour les changements climatiques dans toutes les sphères de la société, tant au niveau national qu’international, bien que louable, aurait des effets pervers. Le Dr. Dewailly ne nie pas que les changements climatiques affectent la santé des Inuits, sur les routes de migrations des espèces animales arctiques et sur la dispersion des contaminants dans leur environnement, mais ces impacts seraient minimes. Les problèmes de santé auxquels sont confrontés les Inuits ; diabète, obésité, dépendances diverses, santé mentale etc. ne sont pas tant liés aux changements de l’environnement dans sa globalité, qu’à ce qui se passe dans l’environnement immédiat, dans la communauté. Le réchauffement de la planète a des impacts qui s’observent sur des décennies dans l’environnement physique et ces effets sur la santé humaine sont minimes. Le Dr. Dewailly croit que l’état de santé des Inuits est influencé par une force beaucoup plus évidente : la modernisation de la société. « Le fait qu’il y ait des aéroports, des avions, de la malbouffe, qu’il y ait des problèmes sociaux majeurs qui font que la santé mentale n’est pas en grande forme, que des habitudes de vie se soient aggravées comme le tabagisme, ça c’est tellement important au niveau de la santé que le reste c’est des peanuts ». La relation étroite que les Inuits entretiennent avec l’environnement en fait des témoins privilégiés des bouleversements environnementaux. Ils sont par conséquent appelés à collaborer étroitement avec des chercheurs et des spécialistes des changements climatiques. En conséquence, déplore le Dr. Dewailly, l’engouement pour les changements climatiques draine les personnes les plus compétentes hors des communautés : « ça pompe du monde. On a besoin d’un Inuit à chaque colloque international, les forces vives sont pompées là-dedans ». Il explique que le nombre de personnes compétentes pour travailler en santé publique au Nord est minime : « les gens qui sont allés à l’école au-delà du CEGEP chez les Inuits, il n’y en a pas tant que ça. Alors les gens qui ont de l’éducation, ce sont eux que l’on embauche, que l’on envoie partout dans le monde sur les tribunes. Mais pendant ce temps, qui reste-t-il pour s’occuper des vrais problèmes ? » Pour le Dr. Dewailly, les changements climatiques, à l’instar du problème des contaminants, sont de bonnes manières de faire entendre la voix des Inuits dans les organisations internationales telles que l’ONU : « Ce sont des problèmes qui attirent la sympathie et dont la responsabilité est partagée par l’ensemble des pays, ce qui n’est pas le cas par exemple avec le diabète. Le problème c’est qu’aujourd’hui ça s’est infiltré dans tous les ministères, dans toutes les sphères de la recherche, et qu’il est rendu difficile d’obtenir du financement pour des projets de recherches s’ils ne sont pas liés à la problématique des changements climatiques ». Toujours sans nier l’importance du problème, le Dr. Dewailly y voit plus une toile de fond sur laquelle on expose un ensemble d’enjeux. Les changements climatiques sont devenus pour la communauté internationale « un moyen de faire la paix. C’est comme si dans une famille tout le monde s’engeule et que soudainement la maison brûle. Tout le monde va se solidariser ». Ils représentent également un bon vecteur pour conscientiser les gens à l’importance de se responsabiliser face à la planète. Les changements climatiques embrassent divers enjeux environnementaux dont le plus célèbre est l’émission des gaz à effet de serre. Les individus se dotent de plus en plus de voitures hybrides, font attention à leur consommation. En cela, la mobilisation internationale à propos des changements climatiques est positive. Ce qui est déplorable, c’est que ces bonnes intentions dans ce domaine interfèrent avec celles d’autres domaines, en santé publique par exemple. La santé des Inuits est un enjeu important, un problème dont il faut s’occuper activement. Ce que le Dr. Dewailly explique, c’est que dans le cas des impacts des changements climatiques sur les pôles, du moins sur les populations qui y vivent, on a tendance à en donner plus que le client en demande. Les Inuits ont une longue tradition d’adaptation, ils ont su vivre dans des conditions extrêmes et passer à travers des épreuves particulièrement difficiles telles que la sédentarisation et les famines qui les ont touchés au début du siècle dernier. « Les Inuits venaient d’Asie et ils ont décidé de rester au Nord. Ils se sont adaptés à tellement de rigueurs. Des cabanes en pierre qui s’en vont dans la bouette ils ont déjà vu ça, alors la maison qu’il faudra reconstruire un peu parce que le pergélisol est plus mou ce n’est pas si grave », a indiqué le Dr. Dewailly. La mobilisation internationale face aux changements climatiques est assurément un pas dans la bonne direction. Mais il importe de s’assurer qu’en cherchant à améliorer l’environnement global, celui que se partagent sept milliards d’êtres humains, on ne néglige pas l’amélioration des environnements immédiats que sont par exemple les communautés inuites. Le discours dominant, même s’il est orienté autour de principes vertueux pour l’ensemble de la planète, ne doit pas nuire au local. Il serait dommage que les populations Inuites ne soient qu’instrumentales dans ce débat. Si elle font de belles images pour les médias, à l’instar de l’ours polaire sur son petit morceau de glace, ces populations ont besoin que soient posés et étudiés les vrais problèmes de santé. Des problèmes n’ayant que peu à voir avec les changements climatiques. Le recours constant à ce phénomène autour des enjeux de santé publique ne serait-il pas une manière pour les gouvernements d’éviter d’ouvrir les vrais débats concernant ces populations ? Débats comme celui sur les impacts d’un passage d’une société traditionnelle nomade à une société post moderne sédentaire en moins de 50 ans, ou encore celui de l’importance de l’auto détermination dans un processus de guérison.

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