Le Canada n’ose pas se mouiller : pas de moratoire sur le chalutage hauturier

Un chalut de fond, c’est-à-dire un filet de 200 à 300 mètres en forme d’entonnoir, retient tous les poissons et les organismes sur son chemin en raclant le fond des océans. Cette technique relativement récente est reconnue comme le type de pêche le plus destructif, car le chalutage arrache des écosystèmes pouvant exister depuis des millénaires. Il épuise la vie marine et peut endommager les écosystèmes à croissance extrêmement lente, en particulier les récifs coralliens (voir aussi « Quand les sushis accélèrent les réchauffements climatiques… » de Raphaëlle Dancette dans cette même parution). En 2001, 80% des prises de pêche en haute mer provenaient du chalutage de fond(2). La plupart des pêches de haute mer ont décliné en cinq ans et se sont écroulées en quinze ans, montrant bien que cette pratique n’est pas durable. Malgré cela, les chalutiers poursuivent la pêche, se tournant vers de nouvelles espèces lorsqu’une espèce ciblée s’éteint. Le chalutage de fond engendre aussi la prise d’individus et d’espèces non convoités regroupés sous le vocable « prises accessoires ». Les chalutiers détruisent les éponges et les coraux durs (les plus vieux et les plus longs à récupérer) en les récoltant parmi leurs prises accidentelles. Ces « méprises » sont si nombreuses, étendues et fréquentes qu’elles menacent d’extinction des espèces à longue vie comme les albatros, les tortues de mer et les requins. Apport économique des hautes mers à la pêche mondiale Les stocks de poissons des eaux intérieures ayant grandement diminué un peu partout dans le monde par nos pratiques irrespectueuses, les pêcheurs se tournent de plus en plus vers les eaux internationales aux espèces plus vulnérables et moins bien protégées par les lois. Mais l’apport économique de la pêche en haute mer est infime comparativement à la pêche en eaux nationales. En 2001, les chalutiers hauturiers ne récoltaient que 0,2 à 0,25% des poissons totaux pêchés. Ce type de pratique représentait au maximum 0,5% des revenus de la pêche marine mondiale(3) et n’employait que 1000 à 2000 personnes. En décembre 2005, environ 200 bateaux provenant de douze pays pratiquaient le chalutage de fond en haute mer dans les zones internationales qui ne relèvent d’aucune organisation internationale. Les retombées économiques de la pêche par chalutage en eaux profondes sont donc très basses comparativement aux impacts environnementaux très graves. Contexte politique international du chalutage hauturier La Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS) engage les pays à protéger et à préserver l’environnement marin, de même qu’à conserver et à utiliser intelligemment les ressources marines. Il n’y a pas, cependant, de juridiction internationale dans ces eaux. Depuis les années 1950, les Organisations régionales des pêches (ORGP) ont pour mandat de réglementer les pêches, de protéger la biodiversité et sa durabilité en haute mer. Or la portée des ORGP s’est avérée limitée : elles font peu pour pénaliser les vaisseaux indésirables qui ramassent des espèces en déclin, elles ne couvrent que le tiers des eaux internationales et les nations peuvent refuser de s’y joindre ou de se soumettre à leurs lois. Pourquoi un moratoire ? Un moratoire sur le chalutage en haute mer offrirait une protection de la vie des grands fonds marins à court terme et procurerait aux décideurs politiques l’opportunité de développer et de mettre sur pied des mesures concrètes de protection de la vie des profondeurs marines, tout en laissant la chance aux scientifiques d’étudier ces mondes restés grandement inexplorés. Cette pause dans l’exploitation des ressources halieutiques servirait à planifier une gestion équitable et durable des pêches futures. La pêche illicite, non signalée et non réglementée, qui profite actuellement du manque de juridiction en eaux internationales, diminuerait si un moratoire sur le chalutage de fond hauturier était établi. En effet, il y aurait alors amélioration de la surveillance en mer et bannissement de l’utilisation de « pavillons de complaisance ». En ce moment, des navires peuvent opérer sous le drapeau d’un pays dont les normes environnementales ou du travail sont plus laxistes que celui d’origine, ce qui permet d’échapper à la juridiction plus stricte de ce dernier. L’Assemblée générale de l’ONU, dans le cadre d’un moratoire sur le chalutage en haute mer, encouragerait la création d’un système comprenant la surveillance des navires par satellites, l’assignation d’inspecteurs aux chalutiers et l’établissement d’une autorité centrale de surveillance, de contrôle et de conformité des navires. Les ports pourraient être fermés aux vaisseaux non conformes et on dresserait une liste rouge des bateaux pratiquant la pêche illicite, non signalée et non réglementée. Un meilleur contrôle des navires allant pêcher à l’international pourrait également améliorer la situation. Délibérations autour du moratoire sur le chalutage hauturier Lors de sa rencontre de septembre 2004, l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) appelait les États à « prendre des mesures d’urgence » fondées sur la science et le principe de précaution, telles que l’interdiction provisoire du chalutage de fond en haute mer ou un moratoire sur la question(4). Elle donnait deux ans aux pays pour adopter des mesures de protection des grands fonds marins, après quoi l’AGNU adopterait une résolution pour éliminer les pratiques de pêche destructrices et interdirait provisoirement le chalutage de fond en haute mer. Mais deux années sont passées et la rencontre de novembre dernier à New York n’a toujours pas permis d’en venir à une entente de moratoire sur le chalutage de fond en haute mer. Si aucun changement n’est apporté le 7 décembre lors de la rencontre de l’AGNU devant clore ce dossier, la nouvelle marche à suivre pour les pays consistera à mieux protéger les aires déjà surveillées par les Organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) et à contrôler les bateaux portant leurs pavillons nationaux selon les règles établies par les ORGP(5). Les gouvernements auraient deux années supplémentaires pour assujettir les zones non réglementées à des mesures de contrôle, après quoi on rediscuterait ou renégocierait l’entrée en vigueur d’un moratoire. Le Canada, réfractaire au moratoire Alors que la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Brésil, l’Inde et même les États-unis sont pour l’adoption d’un moratoire intérimaire sur le chalutage en haute mer, l’Espagne, l’Islande, le Japon et le Canada résistent toujours à une telle mesure. Le chalutage est permis en eaux nationales canadiennes et rapportait toujours, en 2001, 28% de la valeur totale des pêches dans l’est du Canada(6). Si le Canada n’a pas de chalutier de fond allant en eaux internationales, il craint néanmoins qu’une interdiction du chalutage de fond hauturier ne se répercute sur sa loi sur les eaux intérieures. Le Canada a pourtant signé les accords de la Convention sur la Diversité biologique, le « UN Fish Stocks Agreement » et le code de conduite de la Food and Agriculture Organisation (FAO) pour une pêche responsable. De plus, lors du sommet de Johannesburg sur le développement durable en 2002, il s’est engagé à atteindre des objectifs de « pêche durable » d’ici 2015. Comme le Canada refuse d’appuyer le moratoire, de même que l’Espagne, l’Islande et le Japon, il y a peu de chances que l’ONU fasse adopter une résolution sévère pour proscrire le chalutage. Une décision finale sera prise le 7 décembre à l’Assemblée générale des Nations unies sur cette question. Conclusion Les données historiques montrent que les points chauds de diversité biologique décroissent en taille et en diversité. Des experts en environnement, comme Hubert Reeves (président de la ligue Roc de défense de la nature), annoncent que « nous sommes rendus à la sixième extinction » massive d’espèces, causée, cette fois, par l’action humaine(7). Il incombe donc aux gouvernements et à la société civile de développer et d’établir des systèmes de gestion des profondeurs marines tels qu’un moratoire sur le chalutage hauturier avant qu’il ne soit trop tard et que la demande humaine n’excède la capacité des océans à fournir leurs précieux services. Nous avons le devoir de respecter le droit des générations futures de profiter des mêmes ressources de l’océan que celles dont nous avons joui jusqu’à présent. 1. Hactivist News Service. (2004) Océans : les fonds marins sont décimés par les pratiques de pêche destructrices – Greenpeace appelle les Nations unies à adopter un moratoire sur la pêche au chalut de fond en haute mer. [En ligne]. 1 page. . Consulté le 20 novembre 2006. 2. Matthew GIANNI. High Seas Bottom Trawl Fisheries and Their Impacts on the Biodiversity of Vulnerable Deep-Sea Ecosystems : Options for International Action. Gland, IUCN – The World Conservation Union, 2004, pp. 5-15. 3. Deep Sea Conservation Coalition. (2005) The Destructive Power of Deep-Sea Bottom Trawling on the High Seas. [En ligne]. 2 pages. . Consulté le 24 novembre 2006. 4. Deep Sea Conservation Coalition. (2005) Mobilisation en faveur du moratoire sur le chalutage en eaux profondes. [En ligne]. 8 pages. . Consulté le 20 novembre 2006. 5. WWF. (2006) UN fails to protect deep sea life from bottom trawling. [En ligne]. 1 page. . Consulté le 26 novembre 2006. 6. Canadian Press. (2005) UN Trawling Ban Could Cost Canada $500 million. [En ligne]. 1 page. . Consulté le 24 novembre 2006. 7. L’internaute Actualité. (2006) « Hubert Reeves : Arrêtons le massacre de la biodiversité ». [En ligne]. 1 page. . Consulté le 24 novembre 2006.

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