L’espionnage fait la une

Le 6 septembre 2006, la direction de Hewlett-Packard, une multinationale d’informatique et d’électronique dont le siège social est situé à Silicon Valley en Californie, a reconnu avoir fait appel à des détectives privés pour enquêter sur son propre conseil d’administration afin d’identifier la source de fuites aux médias américains. La présidente du conseil d’administration d’HP, Patricia Dunn, a été reconnue coupable, avec quatre autres personnes, le 4 octobre dernier, d’avoir contrevenu à la législation californienne portant sur le droit à la vie privée. Au civil, ce scandale a forcé HP à régler à l’amiable pour la modique somme de 14,5 millions de dollars US. En vertu de l’accord passé, HP s’est engagé à verser 13,5 millions de dollars pour la constitution d’un fonds pour la défense de la vie privée et la lutte contre le piratage en Californie. Outre ce scandale qui a fait beaucoup de bruit étant donné qu’HP figure dans la liste des 40 plus grandes multinationales, un autre événement important s’est produit, cette fois beaucoup plus près de nous. Le 14 novembre dernier, un individu d’origine russe utilisant le nom de Paul William Hampel a été appréhendé à l’aéroport international Pierre-Elliott Trudeau. Arrêté et détenu en vertu d’un certificat de sécurité validé par un juge de la Cour fédéral le 4 décembre, l’individu en question s’était notamment approprié trois passeports canadiens grâce à un faux certificat de naissance. Ayant résidé à Toronto et Montréal durant les 10 dernières années, il a allégué vivre sous une fausse identité pour des raisons « commerciales ». Selon le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), Paul Hampel serait membre du Sluzhba Vneshney Razvedki (SVR anciennement KGB). L’individu en question a finalement été expulsé du pays le lendemain de Noël. Toujours cet automne, Londres a été le théâtre d’un assassinat par empoisonnement assez extraordinaire. Alexander V. Litvinenko, ami du milliardaire russe Boris Berezovsky et ex-agent du KGB, qui résidait en Angleterre, a été empoisonné en ingérant du polonium 210 à son insu. Le polonium 210 est un élément tellement radioactif qu’il dégage une importante chaleur et qu’un seul milligramme émet à chaque seconde autant de particules alpha que 13,5 tonnes d’uranium 238. Ces particules alpha sont des rayonnements ionisants dont l’humain est protégé grâce à son épiderme. Cependant, si elles se retrouvent dans le sang, ces particules causent d’importants dégâts aux cellules humaines. Il est quand même difficile de s’approprier suffisamment de ce type de polonium pour constituer une dose létale, étant donné sa très grande rareté. Or, la dose ayant servi dans ce cas-ci est dix fois plus puissante que la dose mortelle normale, ce qui laisse croire à Scotland Yard, qui mène l’enquête, que l’individu ayant commis l’assassinat était épaulé par une organisation bien structurée et ayant des moyens considérables. Les enquêteurs suivent littéralement les traces du polonium à travers les rues de Londres et les avions commerciaux, puisqu’un individu entré en contact avec cette substance laisse des traces de radioactivité par ses empreintes et les objets qu’ils a touché durant un certain temps. Il semblerait que des ressortissants russes ayant rencontré Litvinenko récemment laissent de telles traces, ce qui renforce la crédibilité de la déclaration que Litvinenko a fait quelques instants avant sont décès, sur son lit d’hôpital, alors qu’il a accusé Vladimir V. Poutine, le Président russe, d’avoir ordonné son exécution. Il faut savoir que Poutine était chef du Federalnaya Sluzhba Bezopasnosti de juillet 1998 à août 1999, alors que Litvinenko en était un agent. [Le KGB fut divisés en deux branches distinctes ; le FSB pour la Sécurité Intérieure et le Service de Renseignement Extérieur (SVR). Le FSB est très semblable dans son fonctionnement à l’ancien KGB] Litvinenko avait alors fortement critiqué ses supérieurs, les accusant d’avoir orchestrer des attentats attribués aux rebelles tchétchènes. Ces attentats, qui ont causé la mort de plus de 300 civils russes, ont notamment servi à justifier une intervention militaire russe en Tchétchénie, région riche en pétrole. Soulignons enfin que si ce n’était de la qualité des soins hospitaliers britanniques et de la perspicacité de leurs spécialistes médicaux, la source de l’empoisonnement n’aurait jamais été détectée. Cet histoire, digne d’un roman à la John Lecarré, a subi un rebondissement additionnel le lendemain du décès de Litvinenko, alors que l’ancien Premier Ministre russe Yegor Gaidar est tombé malade lors d’une conférence, présentant des symptômes similaires à ceux de Litvinenko. Tous deux avaient en commun d’être fortement critique du régime russe actuel, comme d’ailleurs la feue journaliste Anna Politkovskaya, abattue par balle balles dans l’ascenseur de son appartement le 7 octobre 2006. Déduisez-en ce que vous voulez bien… En conclusion, bien qu’à notre époque l’essentiel de l’espionnage, de la collecte d’information et du vol de propriété intellectuelle se fasse via des outils informatiques et soit peu apparent, il arrive que des opérations échouent ou soient de nature plus violente et deviennent connues du public. Garantissant des manchettes sensationnelles dans les téléjournaux et les grands quotidiens, ces événements incroyables, qu’ils impliquent des États ou des multinationales, fascinent et stimulent notre imaginaire, ce qui contribue à alimenter la machine à rumeurs. Dans un monde diabolisé, hier par la course Est/Ouest pour l’hégémonie mondiale, aujourd’hui par les incertitudes qui se profilent entre autres derrière la mondialisation, il y a vraiment place pour le travail souterrain, autrement dit l’espionnage, qui n’est pas toujours sans intérêt, puisqu’il stimule bien souvent la recherche en même temps qu’il crée des besoins, et par suite la richesse. Beaucoup, à ce propos, se souviennent des paravents hâtivement déployés partout en Europe, tout au long des années 60, pour empêcher le flux considérable des faux touristes japonais de piquer le savoir-faire des uns ou des autres. Peine perdue, les Japonais n’avaient pas seulement intelligemment copié ce qui leur avait été permis de voir mais ils montreraient tout de suite après qu’ils étaient capables de mieux faire encore, d’innover en produisant plus intensément, de façon bien plus sophistiquée et à meilleur prix des articles sur lesquels ils garderaient longtemps, du reste, le premier rang. C’est pourquoi dit-on que l’avantage reste toujours à celui qui perce à temps le secret de l’ennemi. Et, dans ce sens, le roi de Prusse, Frédéric II (1712-1786), a bien raison d’écrire :
 » Si on connaissait à l’avance les intentions de l’ennemi, on le vaincrait chaque fois avec une armée inférieure à la sienne. »

L’espionnage fait la une
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