L’Inde mise sur l’Afrique

« Un partenariat dynamique,
une vision partagée.
 » C’est ainsi que le
ministre des Affaires étrangères indien,
Shri Anand Sharma, présente la
philosophie du sommet Inde-Afrique,
sur le site de son ministère. Ce premier
évènement du genre aura pour objet de
« renforcer les partenariats déjà
existants dans des secteurs aussi
divers que l’agriculture, la sécurité
alimentaire, la santé, le développement
d’infrastructures, la science
et la technologie, les médicaments
génériques, la formation et l’industrialisation
 ». Les autorités indiennes chargées
d’organiser le sommet y ont donc invité,
en plus de différents chefs d’États
africains, les représentants des associations
économiques régionales africaines
comme le Marché commun
d’Afrique orientale et australe
(COMESA), la Communauté économique
des États de l’Afrique de l’Ouest
(CEDEAO), la Communauté de
développement de l’Afrique australe
(SADC), ainsi que l’Union africaine et
les représentants du Nouveau
partenariat pour le développement de
l’Afrique (NEPAD). Un partenariat historique et varié Pour Mohammed Badrul Alam,
professeur de science politique à
l’Université Jamia Millia Islamia de New
Delhi, les relations entre l’Inde et
l’Afrique sont basées sur « la compréhension,
l’amitié et les bénéfices
partagés ». Ces liens, aussi ancestraux
que la Route de la soie, se sont
renforcés à partir de l’indépendance
de l’Inde en 1947. « L’Inde fait du
commerce avec tous les pays
d’Afrique, mais plus particulièrement
avec les pays d’Afrique de
l’est, grâce au commerce maritime »,
explique-t-il. Parmi les produits
échangés, figurent le textile, les épices,
le thé, les céréales, ou encore des
objets artisanaux. Mais les échanges
entre l’Inde et l’Afrique concernent
avant tout l’extraction et la transformation
des matières premières –
comme le pétrole ou les activités
minières. Un pays en quête de ressources énergétiques Avec le développement économique du
géant indien, ses besoins énergétiques
sont en constante augmentation. C’est
pourquoi « les échanges se font principalement
avec une poignée de pays
africains, pour la plupart producteurs
de pétroles ou de minéraux »,
explique Harry Broadman, conseiller
économique pour la région africaine
à la Banque mondiale et auteur de
« China and India go to Africa », dans
la revue Foreign Affairs de mars-avril
2008. Selon ses données, 68 % des
exportations africaines vers l’Inde proviennent
d’Afrique du Sud et concernent
des minerais, des pierres
précieuses, des métaux et alliages et des
produits chimiques. Cette concentration géographique des
zones de commerce entre l’Inde et
l’Afrique tend néanmoins à se résorber
depuis quelques années : « Ces dernières
années […] l’Inde commence
à importer d’Afrique d’autres produits
comme le coton ou de la nourriture,
qui sont transformés en Asie
et destinés à l’industrie ou à la consommation
 », souligne M. Broadman. Au-delà de l’économie Les relations entre l’Inde et l’Afrique ne
se limitent pas aux échanges
économiques : Mohammed Badrul
Alam indique qu’il existe aussi « des
échanges en terme d’éducation, de
partage de technologies de l’information
et de la communication ». À titre d’exemple, le ministre indien des
Affaires étrangères cite la mise en place
depuis 2004 d’un satellite et d’un
réseau de fibre optique pour relier
53 pays du continent africain. Le
premier permet de favoriser une
communication plus fluide entre les
différents chefs d’États africains, le
second alimente des centres d’enseignement
et des hôpitaux spécialisés
indiens et africains ainsi que des
hôpitaux implantés dans des sites
reculés d’Afrique. De la même manière,
en Ethiopie, plusieurs compagnies
indiennes produisent des médicaments
et des traitements antirétroviraux
contre la tuberculose et la malaria, en
partenariat avec des entreprises locales. Une Afrique enthousiate mais sur ses gardes De l’autre côté de l’océan Indien, ce
partenariat est accueilli plutôt positivement,
comme l’explique Henri-Elie
Ngoma Binda, professeur de philosophie
politique à l’Université de
Kinshasa en République démocratique
du Congo. « La Chine et l’Inde, dits du
tiers monde, mais [présentant un]
développement admirable, s’offrent
aux Africains comme des partenaires
à la fois proches de leurs
préoccupations et susceptibles de
leur apporter, sans trop d’exigences,
des possibilités de croissance de leur
économie. » Il souligne néanmoins
le caractère nécessaire, plutôt que
volontaire, de ces liens. Harry Broadman suggère aux Africains
d’être vigilants. Le déséquilibre actuel
entre les importations et les exportations,
même s’il tend à se résorber,
pourrait, selon lui, créer une concurrence
déloyale entre les produits locaux
africains et les produits importés
de Chine ou d’Inde, par exemple dans
le domaine du textile. De même, une
concentration trop forte des investissements
indiens dans le domaine de
l’industrie lourde ne conduirait pas à
une création d’emploi significative, ce
dont l’Afrique aurait pourtant besoin.
« Les compagnies indiennes en
Afrique remplacent parfois les compagnies
africaines sur les marchés
locaux en créant peu d’emploi sur
place, allant même jusqu’à en supprimer
 », affirme-t-il. La spécificité de l’approche indienne Sur la scène africaine, l’Inde a une
approche complètement différente de
celle de la Chine, affirme Paul-Martel
Roy, professeur spécialisé en économie
du développement à l’Université du
Québec à Montréal. « Les investissements
de l’Inde en Afrique viennent
principalement d’entreprises privées,
alors que ceux de la Chine sont
financés par le gouvernement
chinois, ce qui se traduit par des
investissements dans des infrastructures
tape-à-l’oeil, comme la
construction de stades. » Il ajoute
que les Indiens, contrairement aux
Chinois, embauchent la main d’oeuvre
locale ou bien amènent des gens qui
deviennent citoyens du pays. L’approche
chinoise a en effet récemment fait l’objet
de certaines critiques en Afrique : « Les
Africains préfèrent bien sûr avoir une
route que de ne pas en avoir du tout.
Mais quand les Chinois arrivent avec
leur propre main-d’oeuvre pour
construire ces routes, la population
locale n’apprécie guère », affirme
M.Roy. Une alternative aux pays occidentaux Si les anciennes puissances coloniales
perdent des marchés en Afrique, au
profit de pays comme l’Inde ou la
Chine, c’est parce que « la forme
traditionnelle de la coopération avec
le monde occidental […] a radicalement
déçu [ses] espoirs de développement
 », explique M. Ngoma
Binda. Par conséquent, l’Afrique se
convainc de plus en plus qu’il est
absolument indispensable et urgent de
se tourner vers les pays qui offrent de
plus grands avantages comparatifs.
C’est une des raisons pour lesquelles
les pays africains « se reconnaissent
davantage dans les autres pays du
Sud », ajoute M. Roy. « La rage capitaliste de l’Occident
pousse l’Afrique dans les mains,
jugées plus tendres, de l’Inde et de
la Chine. Face au choix nécessaire,
il faut aller vers celui dont on ne
connaît pas encore la profondeur du
mal qu’il peut vous infliger », conclut
le professeur congolais. Le journal indépendant de l’Université de Montréal Quartier Libre est le principal journal des étudiants de l’Université de Montréal (UdeM). Organe de diffusion indépendant de la direction de l’UdeM, Quartier Libre est un bimensuel distribué à plus de 7000 exemplaires sur et autour du campus. Quartier Libre compte sur la collaboration de plusieurs étudiants (dans différents domaines d’étude) de l’UdeM et de quelques journalistes extérieurs. Il se veut un journal école, un tremplin pour les étudiants qui souhaitent faire carrière en journalisme et se donne comme mandat de traiter de tous les sujets chauds du campus de l’UdeM et d’ailleurs, de faire des analyses sur des thèmes de société et internationaux et de promouvoir la culture émergeante qui n’est pas ou peu couverte par les autres journaux québécois. Innovateur et dynamique, il a été nommé « meilleur journal étudiant du Canada » par Paul Wells, chroniqueur au magazine canadien Macleans. L’ensemble de la rédaction est rémunéré pour son travail. L’équipe rédactionnelle 2007-2008 est composée de Rachelle Mc Duff (directrice et rédactrice en chef), Clément Sabourin (chef de pupitre campus), Julie Delporte (chef de pupitre culture), Thomas Gerbet (chef de pupitre société-monde) et Clément de Gaulejac (directeur artistique).

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