Pollution maritime en Afrique

Bientôt, le traversier arrive au port. Au loin, je vois ma mère agiter la main et mon cœur se remplit d’une joie immense. Après une dizaine d’heures de vol, puis une dizaine d’heures de route à partir du Sénégal, me voilà enfin dans les bras des miens, installés en Gambie depuis peu. Je m’engouffre dans la voiture et nous nous dirigeons vers la maison. Un court moment, mon œil rempli d’émotion traîne sur le port que nous longeons. C’est alors que je constate la présence d’un grand nombre de navires délabrés, abandonnés ici et là. Intriguée, je demande l’explication d’un tel état de fait. « Eh bien, c’est comme ça ma fille » me répond madame E. K. qui vit en Gambie depuis plusieurs années. « Les Européens viennent jeter leurs vieux navires ici. Ils font leur dernier voyage en sachant que le bateau ne pourra jamais faire le chemin de retour, et ils l’abandonnent ici tout simplement. C’est comme une poubelle quoi ». Mon regard s’assombrit. Dans mon pays d’origine, le Burkina Faso, je ne connais pas cette problématique, étant un pays enclavé. Devant ce spectacle désolant, je ne puis m’empêcher de me poser mille questions : la domination du nord sur le sud aurait-elle donc lieu même en matière d’environnement ? Pourquoi les propriétaires relativement fortunés de ces bateaux ne les détruisent-ils pas chez eux, quand ils savent que la petite Gambie n’a aucun moyen de le faire ? Quel impact environnemental ont ces engins sur les eaux gambiennes ? Pourquoi le gouvernement de cet État n’intervient-il pas ? Pourquoi en parle-t-on si peu ? Septembre 2006, un scandale suscite enfin l’intérêt de la communauté internationale : des déchets toxiques ont été déversés en Côte d’Ivoire, dans le port d’Abidjan (la capitale économique). L’auteur désigné du scandale est le Probo Koala « un navire armé par une compagnie grecque, mais battant pavillon panaméen et doté d’un équipage russe ». Les déchets, qui contenaient de l’hydrogène, ont tué une dizaine de personnes et fait des milliers de malades (plus de 40 000). Ce ne sont pourtant pas les documents juridiques internationaux qui font défaut. La convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) est la plus universellement ratifiée, en vigueur depuis 1994, avec 145 États parties en décembre 2003. Dans son préambule, la convention encourage « la conservation des ressources biologiques, la protection et la préservation du milieu marin ». Il existe aussi la Convention MARPOL 73/78 pour la prévention de la pollution des navires, en vigueur depuis 1983. Elle couvre la pollution par les ordures, les substances nocives, les hydrocarbures, etc. Pour le cas de la Côte d’Ivoire, le navire coupable aurait eu l’occasion de déverser ses déchets à cause d’un vide juridique ; cet État a en effet signé une annexe de MARPOL autorisant le déversement de résidus de lavage. « L’efficacité des réglementations européennes est aussi remise en question : il faut en finir avec les lacunes et autres exemptions qui permettent d’expédier certains déchets à des pays non membres de l’OCDE… les pays développés et l’Union européenne en particulier, se lavent les mains de leurs déchets toxiques. Profitant des défaillances réglementaires et des conflits politiques, ils convertissent l’Afrique en décharge de déchets nucléaires (en Somalie, Kenya) ou chimiques (Côte d’Ivoire mais aussi Cameroun » soulignait Madame Marie Anne Isler Béguin, députée du parlement européen, en octobre dernier. La convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur élimination, en vigueur depuis 1992, interdit l’abandon de déchets dangereux sur un territoire dont l’État n’a pas la capacité d’éliminer (article 4). Si le scandale d’Abidjan a eu lieu, c’est en partie grâce à la collaboration de certains hauts responsables Ivoiriens, comme l’a souligné le rapport de la Commission qui s’est penché sur la question. En effet, « La note sur le délaissement des navires établie par le secrétariat de l’ONU[…] précise : le délaissement d’un navire à terre ou dans un port, avec ou sans son équipage, ne relève pas de la Convention de Londres ou de son Protocole, mais serait du ressort de l’État du port qui devrait alors poursuivre la question de concert avec l’État du pavillon et le propriétaire du navire. Tout acte de délaissement d’un navire dans les eaux intérieures d’un État devrait donc être traité dans le cadre de la législation de l’État concerné… ». Quant à la pollution des eaux par le délaissement de navires, les discussions sont encore en cours à l’international. Certains intervenants rejettent même l’applicabilité de la convention de Bâle en la matière, arguant que les navires ne sont pas des déchets. « Tout le monde était d’avis que le régime en vigueur appliqué au démantèlement des navires comporte des lacunes » rapporte Paula Barrios de l’institut international du développement durable, sur le groupe de travail sur le démantèlement des navires de la conférence des parties de la convention de Bâle en 2004 . Cette même conférence a reconnu que les navires en très mauvais état pouvaient dorénavant être considérés comme des déchets. Mais en attendant que les accords juridiques se concrétisent sur le terrain, des navires délabrés polluent encore les eaux portuaires de la Gambie et de nombreuses personnes sont en quête du chemin de la guérison en Côte d’Ivoire. En me penchant sur cette question de la pollution maritime dans les pays africains considérés, je me rends compte que, comme pour toute problématique en relations internationales, la question est complexe. Sans déresponsabiliser les compagnies du nord, il serait vain d’ignorer l’inertie, volontaire ou non, des États africains. Une réalité est fort déplorable, lorsqu’on sait que l’on parle d’une problématique de nature universelle, car l’environnement n’a pas de pays.

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