Super Mario n’est pas italien

En plus de vingt-cinq ans, les jeux vidéo ont largement dépassé les frontières de l’archipel nippon où ils sont nés. Au point que trois marchés prééminents sont aujourd’hui reconnus : le Japon, bien sûr, mais aussi les États-Unis et l’Europe. Et, contrairement aux idées reçues, le Vieux Continent n’est pas en reste : Sony y a vendu 40 % des PlayStation 2 écoulées dans le monde, soit quasiment deux fois plus qu’au Japon. La plupart des autres machines du marché connaissent un succès plus ou moins analogue en Europe. Avec un chiffre d’affaires mondial de près de 20 milliards de dollars en 2003 (soit, depuis 2005, plus que ceux du cinéma et de la musique), on cerne mieux ce qui motive les industriels à réussir une implantation globale. Mais au-delà des ventes, c’est avant tout un public européen qui s’est construit. Et, avec lui, des goûts et comportements ludiques caractéristiques. Est apparue notamment une culture de l’import, vestige encore bien vivant du temps où les localisations (versions locales, « traduites », des jeux) n’étaient ni légions, ni rapides, ni réussies. Dès l’époque Super Nintendo, soit à partir de 1990, de nombreux joueurs européens se sont tournés vers les marchés « US et JAP ». Au fil des ans, l’import de jeux vidéo est passé d’une pratique marginale à un phénomène majeur. Au point que les grands acteurs du marché n’ont, depuis, cessé de poursuivre en justice les importateurs. Fin octobre, l’une des boutiques en ligne les plus fastueuses, Lik-Sang, a ainsi été obligée de fermer ses portes. Les joueurs européens peuvent toutefois, depuis plusieurs années déjà, compter sur de bien meilleures localisations. Ainsi, la Xbox 360 de Microsoft et la Wii de Nintendo ont connu des sorties mondiales, à deux ou trois semaines près. L’Europe n’est (presque) plus la dernière roue du carrosse. Des développeurs plus frileux Du côté des studios de développement, pourtant, ce n’est pas la panacée. Hormis quelques exceptions, les grands concepteurs du jeu vidéo sont plutôt américains, et encore très majoritairement japonais. Certes, l’Europe peut compter sur quelques figures comme Michel Ancel (Rayman, Beyond Good & Evil, King Kong), Frédéric Raynal (Alone in the Dark qui inspira énormément Resident Evil, Little Big Adventure) ou encore l’Anglais Peter Molyneux (Populous, Theme Park, Fable). Mais on est encore très loin de parler d’exception culturelle à l’européenne. Le gouvernement français semble l’avoir noté puisqu’en mars 2006, notre ministre de la Culture a fait de Raynal et Ancel, en plus de Miyamoto (Donkey Kong, Mario, Zelda), des chevaliers dans l’ordre des Arts et des Lettres. Encore plus encourageant, un crédit d’impôt de 30 millions d’euros a été décidé en France il y aura bientôt un an. Il vise à soutenir notre industrie du jeu vidéo, mais il s’agit surtout d’éviter que nos talents ne s’expatrient à l’étranger, notamment au Québec. Espérons que les autres membres de l’UE s’en inspirent et que cela motive les développeurs français. Le clivage se situe donc entre un public européen toujours plus sûr de ses choix, et un jeu vidéo qui semble faire sa crise d’adolescence. Les médias interactifs numériques se cherchent, en témoignent les présentations de concepts forts et novateurs de Nintendo (avec ses nouveaux bijoux : DS et Wii) et la méfiance à peine dissimulée de ses adversaires Sony et Microsoft. En Europe, les grands salons de jeux vidéo se multiplient, alors qu’ils se raréfient dans le reste du monde. Notre continent est ainsi devenu, au fil de l’histoire du jeu, un acteur majeur du marché sur lequel il faut compter pour réussir une implantation ludique. Même si, paradoxalement, ses véritables moteurs européens sont les joueurs, et non les créateurs.

Super Mario n’est pas italien
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