Belgique : un pays en crise

Pendant plusieurs semaines, la Belgique a fait la Une des journaux avec des titres comme : « la Belgique au seuil de la guerre civile », « les groupes linguistiques se détestent » et « le région la plus riche, la Flandre, est sur le point de déclarer son indépendance ». Rien de tout cela n’est vrai. Voici d’abord une petite leçon d’histoire pour comprendre la vraie dynamique de la situation actuelle. Un pays à plusieurs gouvernements En 1830, juste après la bataille de Waterloo, la Belgique est créée pour jouer le rôle d’état tampon entre la France et l’Allemagne, deux ennemis jurés. Quant à la Grande-Bretagne, elle prône le statut quo dans la basse Europe. Jusqu’à lors, la Belgique fait partie de la France, des Pays-Bas, de la Bourgogne française, de l’Espagne et de l’Autriche. Bien que le Royaume de Belgique ne couvre que 33 000 km2, il y abrite 10,2 millions d’habitants faisant de lui le pays le plus densément peuplé du monde. Il y a trois langues officielles en Belgique : le flamand, le français et l’allemand. Le nombre de personnes parlant flamand s’élève à 60 % et français, 39 %. Seulement une petite minorité a l’allemand comme langue d’usage. Depuis 1993, l’État fédéral belge est divisé en plusieurs puissances régionales linguistiques. Le gouvernement flamand se situe au nord et la Wallonie (francophone), au sud. La communauté bilingue de Bruxelles est établie au cœur du pays et l’on retrouve un gouvernement allemand à l’est pour la communauté germanophone. Toutes ces communautés sont dirigées par des ministres. Les compétences du gouvernement fédéral englobent des domaines nationaux comme la défense, la politique étrangère et la sécurité sociale tandis que les gouvernements régionaux s’occupent de tout ce qui a trait à l’usage de la langue – éducation, culture, media, logement ou services pour les enfants et les aînés. Notons que la procédure dite de la « sonnette d’alarme » de la constitution belge empêche un groupe linguistique de soumettre de nouvelles législations qui brimeraient les droits d’un autre groupe. Le conseil des ministres constitue aussi une bonne façon d’équilibrer le pouvoir entre les différentes communautés car il est formé de ministres provenant de toutes les régions du pays. De plus, la division en sièges fixes par groupes de langues au Parlement permet de ne pas favoriser une région plus qu’une autre. Même au Parlement européen, la minorité allemande (70 000 habitants) détient un siège aux côtés des ministres européens de la Flandre, de Bruxelles et de la Wallonie. Les groupes linguistiques La connotation culturelle de l’usage de la langue a toujours été une question sensible dans le plat pays de Jacques Brel. Le français est la langue employée par les hautes classes sociales jusque dans les années 1970. Pour occuper un poste de fonctionnaire, professeur, médecin ou avocat, il faut parler la langue de Voltaire. Le flamand, qui ressemble à l’allemand, est considéré comme la langue du prolétariat, des rebelles. Pendant longtemps, la Wallonie a été la partie la plus riche du pays grâce à ses manufactures d’acier et ses mines de charbon lui conférant un certain snobisme face à la « plèbe ». Un changement dans l’économie se résulte en une révolution culturelle dans les années 1960. La Flandre devient alors la zone la mieux nantie grâce à son économie de services et à la présence sur son territoire de trois ports de mer importants. Les écoles et les universités flamandes optent pour le flamand comme langue d’enseignement et les fonctionnaires sont maintenant bilingues. La culture du peuple flamand peut enfin être respectée. Petit à petit, la Flandre accumule la richesse et devient l’une des régions les plus prospères d’Europe avec un taux de chômage aussi bas que 4,7 % comparativement à 10, 8 % pour son homologue francophone et 17,8 % pour Bruxelles qui est pourtant l’un des territoires les plus prospères. Cela s’explique par le fait que ceux qui travaillent dans la capitale nationale viennent de l’extérieur de la ville, plus précisément de la Flandre, car les Flamands se débrouillent très bien dans les deux langues. Depuis les années 1970, la Flandre réclame des changements graduels de la structure étatique qui permettraient de décentraliser le pouvoir national vers les régions. Une dernière étape des modifications s’achève en 1993 par la création des gouvernements régionaux. Mais voilà qu’aujourd’hui, la Flandre pousse plus loin : la sécurité sociale et certains impôts devraient devenir des compétences régionales. Yves Leterme prétend que « dans le contexte économique et social actuel, c’est la meilleure solution que nous pouvons offrir aux Belges pour régler leurs problèmes ». Du côté des Wallons, on pense autrement. L’idée générale véhiculée sous-entend que les Flamands « veulent devenir indépendants et se débarrasser de la partie la plus pauvre du pays. Plusieurs croient que de transférer le système de sécurité sociale vers l’autre pallier de gouvernement entraînerait une hausse des coûts médicaux, voire que certains ne pourraient plus être en mesure de se payer des soins. Ensemble, mais différents La culture et la langue vont de paire. Il ne faut pas demander à un Wallon ce qu’il pense du chef d’antennes flamand Goedele Wachters ou du groupe de musique pop Clouseau. Il y a aussi des chances que les Flamands ignorent qui est la présentatrice de nouvelles Nathalie Maleux ou le chanteur Christophe Willem. Mais ils seront probablement en mesure de vous donner une liste de personnalités françaises et néerlandaises. Les habitudes électorales varient aussi d’un groupe linguistique à l’autre. L’ancien premier ministre flamand Guy Verhofstadt était extrêmement populaire en Wallonie avant les élections fédérales. « Il a fait du bon travail. « S’il en tenait juste de moi, il resterait », m’a dit en juin dernier, Rosie Malingraux, à Namur, la capitale de la Wallonie. Quel candidat n’envisage-t-elle pas comme premier ministre ? « Yves Leterme. Je le déteste. La façon dont ce ministre flamand voit les Wallons me dégoûte. Mais le pire c’est qu’il est lui-même Wallon ! » Si l’on pose la même question de l’autre côté de la frontière de la langue, l’on dira que Guy Verhofstadt n’a jamais été capable de livrer la marchandise et qu’Yves Lenterme, qui gouvernait jusqu’à tout récemment la région flamande, serait de loin le meilleur candidat. Le rôle des médias Comment cela est-il possible ? Les médias influencent considérablement l’opinion publique. Le fait que les politiques Flamandes et Wallonnes se buttent aux obstacles linguistiques lors des débats préélectoraux n’aide en rien la propagation équitable des idées. Les frictions entre les deux parties du pays deviennent évidentes lorsqu’en décembre 2006, la chaîne de télévision publique wallonne RTBF interrompt un programme populaire pour diffuser une édition spéciale de nouvelles intitulée « La Flandre indépendante ». « Bonsoir. Aujourd’hui, dans une réunion extraordinaire du parlement flamand, la Flandre s’est déclarée indépendante de façon unilatérale. Le roi a fuit le pays et les citoyens ne peuvent plus traverser la frontière. » S’en suit une heure de fausses entrevues et reportages montrant des Flamands festoyant et des Wallons pleurant. Une vague de panique déferle sur le sud de la Belgique. Certains vident leurs comptes de banque, d’autres achètent des billets d’avion pour quitter le pays. Des personnes âgées appellent leurs petits-enfants en Flandre imaginant ne plus jamais les revoir. Pendant ce temps sur le territoire flamand, personne n’est au courant de ce qui se passe. Plus tard, ils trouvèrent la blague divertissante. Comment les Wallons peuvent-ils être aussi naïfs pour croire que la Flandre agirait de la sorte et déclarerait la cessation unilatérale ? Si la Flandre devait se séparer un jour, elle le ferait en négociant clairement. Ce que les Flamands n’ont pas digéré est la manière dont ils furent dépeints par les journalistes francophones : comme des Néonazis, des extrémistes, des matérialistes arrogants et acculturés leur rappelant ainsi le « bon vieux temps » où le Sud les regardait de haut. Le premier ministre Guy Verhofstadt a déclaré alors que c’était « une blague de mauvais goût ». Suite à la diffusion du faux bulletin spécial, l’antagonisme des groupes linguistiques est palpable. La façon dont la presse wallonne dépeint les Flamands les exaspèrent au plus haut point car ils aiment se concevoir comme étant décontractés, vaillants, sociables, ouverts sur l’Europe et sur toutes les langues et cultures. Après tout, la plupart des habitants de la Flandre parlent au moins trois langues couramment. Donc, rien n’est plus loin de la réalité que lorsque des bulletins de nouvelles étrangers affirment que les Flamands ne maîtrisent pas le français. Ils réfèrent plutôt à la situation politique qui prévaut dans les villes avoisinant Bruxelles où des francophones se sont installés dans une quête d’une meilleure qualité de vie, mais qui ont refusé d’apprendre le flamand. Ceci s’explique par le fait que l’État leur offre la possibilité d’obtenir tous les documents légaux en français. Récemment, suite aux élections communautaires, plusieurs des conseils de ville de ces localités limitrophes, qui sont composés de représentants francophones, ont demandé de pouvoir utiliser leur langue maternelle [lors de réunions ou autres] ce qui va à l’encontre des législations linguistiques. Les médias ont également eu beaucoup d’influence sur les habitudes électorales de juin dernier. En Wallonie, la coalition violette du libéral Guy Verhofstadt a été considérée grande gagnante bien que l’on prévoyait la défaite des socialistes, baignés dans des scandales de corruption. Autre son de cloches en Flandre : les médias tapent sur la coalition violette et sur ses partenaires frauduleux en introduisant Yves Leterme comme futur premier ministre. Dès lors, il est évident que les partis du Nord, appuyés par l’opinion publique écœurée par les récents scandales de corruption en Wallonie, se soient mis d’accord pour demander plus de pouvoir pour les gouvernements régionaux. Quant au Sud, un front « uni pour le français » est créé dans le but de stopper tout essai des Flamands de changer la structure de l’État. La formation d’un nouveau gouvernement Le 10 juin dernier, le public a voté. Yves Leterme obtient le plus grand nombre de votes personnels en Flandre, lui conférant le droit de former le nouveau gouvernement. Ses partenaires habituels, les socialistes, subissent un coup dur en obtenant les résultats les plus bas de leur histoire. Une coalition olive est donc hors de question. La seule option de coalition majoritaire est entre les chrétiens-démocrates et les libéraux. Depuis juin, six partis négocient la formation d’un gouvernement. Comme les groupes politiques nationaux n’existent plus au niveau fédéral, les unions politiques se forment par alliés naturels provenant de l’autre côté de la frontière linguistique. Les chrétiens-démocrates sont formés par les deux partis flamands, le CD&V (Christen-Democratisch en Vlaams) et la N-VA (Nieuw-Vlaamse Alliantie), ainsi que du parti wallon, le CDH (Centre démocrate humaniste). Ils sont dans l’opposition officielle depuis 1999. Leur collaboration est ponctuée de méfiance, car le CDH n’est pas en faveur de la candidature d’Yves Leterme(CD&V). En effet, l’été dernier, le journal français Libération rapportait ses propos fallacieux : « j’assume que, soit les Wallons ne veulent pas apprendre le flamand, soit ils n’ont pas les facultés intellectuelles de le faire ». Mais le consortium entre le parti nationaliste NV-A – qui ne cache pas son programme séparatiste – et le CD&V ne se fait pas avec le CDH, qui refuse toute tentative de réforme étatique. En ce qui a trait aux libéraux (VLD en Flandre et MR+FDF en Wallonie), ils semblent plus disposés à s’entendre et à essayer de se sortir du statut quo. Et maintenant ? Les « négociations dans le but de s’asseoir pour négocier » caractérisent l’atmosphère politique des derniers mois. Jusqu’à maintenant, aucun accord n’a été établi. Les partis flamands ne formeront un gouvernement que dans l’éventualité d’une réforme étatique et les Wallons ne cessent de dire « non ! ». Pour eux, une solution s’imposent : étendre les frontières de Bruxelles (où la majorité parle français) jusqu’en Wallonie ce qui permettrait aux Wallons de revendiquer la capitale si le pays s’effondre. Et cela est non négociable pour le Nord. Dernièrement, en temps que leader pour former le gouvernement, Yves Leterme est allé rencontrer le roi. L’ancien premier ministre a reçu le mandat de gérer un gouvernement avec des pouvoirs limités. Il devient donc vice-premier ministre du gouvernement intérimaire et cherche toujours de nouvelles solutions pour se sortir de la crise. Ce n’est pas un secret qu’il voudrait continuer de gouverner avec ses anciens partenaires de coalition. Un récent sondage indiquait que 60 % de la population voudrait qu’il soit premier ministre. Seul l’avenir nous dira si Guy Verhofstatd, qui rêve de se retirer, se succèdera à lui-même comme premier ministre. Cet article a été écrit par Lien De Leenheer, et traduit de l’anglais par Rachelle McDuff. La version originale est disponible ici.

Belgique : un pays en crise
En savoir plus =>  La planète fait de la fièvre…Et l’occident délire !
Retour en haut