13 décembre 2006. 20h37, coup de téléphone d’un ami qui m’annonce la nouvelle : la Belgique n’existe plus. Je le prends à la rigolade, pensant qu’il s’agit encore de l’un de ses nombreux délires alcoolisés. Mais celui-ci m’enjoint à me mettre devant ma télévision, ce que je fais finalement, intrigué. Et là, en mettant la RTBF (Radio Télévision de Belgique Francophone, chaîne publique), je tombe sur une émission exceptionnelle, en direct, présentée par le présentateur habituel, avec les intervenants habituels et l’esthétique (ou l’absence d’esthétique) habituelle. Très vite, la sentence tombe : la Flandre, suite à un vote au Parlement de la communauté flamande, proclame son indépendance, politique comme territoriale. De Félicien Rops à Magritte Les premières secondes passées, je remarque quelque chose d’inhabituel : un petit logo, en haut à gauche, représentant une femme nue, yeux bandés, suivant un cochon tenu en laisse. Initialement une peinture de Félicien Rops, artiste surréaliste belge, mais aussi l’emblème d’une émission, Tout ça (ne nous rendra pas le Congo), habituée à l’impertinence journalistique. Mais quand même, la Belgique, finie ? Malgré cet indice, je décide de zapper, pour me rendre compte qu’il n’y a aucune couverture de l’événement par les autres télévisions belges, privées et publiques, flamandes et francophones. Curieux. Je repasse sur la RTBF, et suis des reportages invraisemblables : le Roi fuit par avion vers le Congo, la frontière linguistique est bloquée, des manifestants, opposants ou sympathisants, manifestent face aux principaux symboles de la Nation (Palais Royal, Parlement flamand). Puis, apparemment sous la pression ministérielle, un bandeau apparaît : « Ceci est une fiction. » Pourtant, plusieurs annonces avaient déjà été livrées au tout début de l’émission et au cours de celle-ci : « Ceci n’est peut-être pas une fiction. » Encore une référence nationale, puisque la phrase fait allusion au célèbre tableau Ceci n’est pas une pipe, de René Magritte. C’était donc une vaste blague, plus que jamais placée sous le signe du surréalisme. Mais 6 % de la population sondée affirme y avoir cru jusqu’au bout, malgré les indications claires du présentateur vedette en plus des preuves citées auparavant. L’affaire a fait grand bruit, puisqu’elle a phagocyté toute l’attention médiatique du pays pendant plusieurs jours. Internet a été le lieu de débat le plus convoité, si l’on regarde les milliers de messages postés sur les forum ou la surcharge pendant un moment du site de la RTBF. Les politiques réclament une punition exemplaire devant cet affront, à l’exception du Vlaams Belang, parti d’extrême-droite flamand, qui salue l’initiative. La dynastie constate « simplement qu’aux yeux de nombreux observateurs, ce programme avait les caractéristiques d’un canular de mauvais goût ». Globalement, les réactions officielles, notamment des autres organes médiatiques, étaient fort négatives. D’aucuns soulignent que ce « canular de mauvais goût » a fait perdre beaucoup de crédibilité à la RTBF, même à l’étranger. Le contexte politique est assurément tendu pour le moment, surtout sur le plan communautaire. Les appels à un confédéralisme ou même à un séparatisme de la part de plusieurs partis flamands, comme le Vlaams Belang ou le CD&V (libéraux chrétiens) sont légion, et la famille royale semble liée à des affaires troubles. Seule Bruxelles, enjeu économique capital, semble tenir la Belgique debout (et un peu le Roi, disent certains). Pourtant, l’émission a peut-être dépassé les attentes de ses concepteurs, qui semblent l’avoir faite dans l’optique de susciter le débat quant aux problèmes communautaires. En effet, c’est surtout du point de vue de l’éducation aux médias que cette histoire est intéressante. Wells et ses ovnis anglais semblaient oubliés, il était peut-être temps de rappeler le caractère fictionnel de toute information. Cette émission précisément n’était pas plus un canular que les autres : tous les journaux télévisés, journaux papiers, documentaires et autres, sont des fictions. Par extension, toute information est une fiction. Parce ce qu’il y a sélection, de fond comme de forme, parce qu’il y a analyses contradictoires, parce qu’on ne peut jamais présenter une réalité globalement et objectivement : pour toutes ces raisons, l’audace de la RTBF était bienvenue. Il est assez incroyable de constater, par exemple, que beaucoup n’ont pas eu la jugeote de simplement zapper, changer de chaîne, pour appliquer le premier commandement de l’esprit critique qui est la confrontation des points de vue. En cela, tout ceci aura été une excellente leçon, qui, espérons, fera date. Pas mal intéressant comme article ! Bon résumé de l’événement et des réactions qu’il a sucité. Par contre, il ne faudrait pas exagérer… quand vous écrivez que « toute information est une fiction », on peut comprendre votre idée, mais c’est un peu extrême comme façon de percevoir l’information. De votre point de vue, la diversification des sources d’information entrainerait… une plus grosse fiction !?
« Ceci n’est peut-être pas une fiction »