Chronique : Souzdal, la ville aux milles dômes

Aujourd’hui, à la suite de deux heures de route en autobus, je suis enfin à Vladimir. Une ville moche qui pourtant fait partie du patrimoine mondial de l’UNESCO. Elle porte en effet son millénaire et fut auparavant capitale de Russie. La rue principale est très passante et l’air est pollué. En plus, Olivier se blesse la cheville. Il a peut-être une entorse, mais il ne veut pas retourner à Moscou malgré sa blessure. Un jeune homme est assis sur une roche et fixe la vallée. Olivier et moi, nous allons près de lui. Olivier s’assoie pour soulager son pied. J’ai le guide touristique d’Olivier à la main. Il est en anglais. L’inconnu nous demande la permission d’y jeter un coup d’œil. On fait connaissance : il est de Vancouver. Une jeune russe se joint à nous. Elle étudie la littérature anglaise à l’université et souhaite discuter avec nous, car notre rencontre constitue une opportunité de pratiquer l’anglais. Lorsqu’elle s’assoie au sol, elle prend soin de s’improviser un siège en déposant un journal plié au-dessous de ses fesses. Vieille croyance pour ne pas perdre sa fertilité me dit Olivier. Pour dire qu’elle est heureuse, elle dit « to experiment positive emotions » plutôt que « to be happy ». Charmant. Nous mangeons dans un petit resto offrant des blinis, les crêpes russes. Je trouve que la jeune russe mange peu, mais c’est peut-être l’heure. Le milieu de l’après-midi. Après le repas, elle doit nous quitter. Je l’embrasse sur les deux joues pour la remercier, mais je crois que je l’ai gênée. On se sépare du jeune homme de Vancouver. Nous quittons pour l’hôtel. Le lendemain, nous montons dans le premier autobus disponible en direction de Souzdal. Il n’y a pas d’horaire fixe : le départ se fait dès que l’autobus est complet. Souzdal, le village aux milles dômes, est une autre ville nommée patrimoine mondial par l’UNESCO. Nous aimons le cachet médiéval de ce village campagnard, mais de plus en plus touristique. Nous constatons la popularité de Souzdal surtout par les prix demandés aux auberges et résidences. Faramineux. Je me demande si certaines chambres n’affichent pas des prix supérieurs à ceux des grands hôtels du Québec. Nous décidons de mettre de côté cette légère inquiétude pour l’instant et de plutôt profiter du soleil. Sur les rives d’un ruisseau où se baignent des enfants, j’étends mon sac de couchage et me couche parmi les herbes. Les églises et monastères abondent. Des femmes fauchent le foin. L’atmosphère est paisible. Mais peu de temps plus tard, les nuages masquent le soleil et nous pressent de dénicher une chambre abordable pour la nuit. Dans la rue, Olivier questionne quelques babushkas sur les possibilités d’hébergement pour la nuit. Enfin, une femme nous répond « un instant » et interpelle haut et fort une amie à une rue plus loin vers notre droite. Elle nous prie de rejoindre son amie qui nous attend, dit-elle. Olivier et moi affichons un sourire satisfait et nous dirigeons vers la dame qui se nomme Olga. Elle nous offre une chambre improvisée pour trois cent roubles. Génial ! La maison est typique. Des tapisseries désuètes décorent les murs. Beaucoup de bois et de tissus floraux, orange et marron. Le bain est inutilisable : un seau d’eau est dans le bain pour y plonger une débarbouillette. Pas de lumière dans la salle de toilette étroite : pour y voir quelque chose, je dois laisser passer une fente de lumière par la porte entrouverte. Nous partons pour une marche près de la maison. Nous achetons à souper : des pelmenis fourrés de viande ; de la bière et un vin que je n’aurais pas acheté si je l’avais su sucré. Un élément qui m’a échappé en lisant l’étiquette en russe. Nous revenons à la maison d’Olga pour préparer le souper, mais la préparation est finalement monopolisée par une amie d’Olga. Cette dernière va dans le jardin. Elle revient avec des concombres, des tomates et de l’aneth, les condiments typiques. Elle coupe les légumes en tranches fines. Ils sont accompagnés d’un petit bol rempli de sel. L’aneth agrémente notre plat de pelmenis. L’amie d’Olga a ajouté de la mayonnaise et du beurre. La nourriture russe est peu raffinée, comme celle de notre terroir québécois. Ensuite, Olga découpe des tranches d’un pain de blé très dense avec un couteau affûté. En dessert, Olga nous sert des fraises fraîches saupoudrées de sucre et arrosées de crème. Ma maîtrise de la langue russe est piètre, mais Olga me parle aussi vite qu’à son amie. Un autre ami d’Olga nous rejoint. Il travaille pour la milice dans une prison de Vladimir. Il possède une collection de figurines en pain-mâchés réalisées par des prisonniers. Ils ont un talent fou. Si je voulais insister pour trouver un point de référence, je dirais que les figurines sont à l’image des fallas en Espagne. Comme les fallas, les personnages sont caricaturés, mais ils ne sont pas faits de la même matière : les fallas sont en papier-mâchés. L’ami d’Olga en offre une à Olivier. Magnifique souvenir : par cette figurine, il se rappellera du chaleureux accueil de ces russes… jusqu’à ce que la vermine grignotte son souvenir de pain-mâché. Ce matin, je me lève plus tôt qu’Olivier. Olga est dans le salon, étendue sur le divan où elle a sûrement dormi – je comprends qu’elle a loué son lit -, et lit le journal. La télévision est ouverte. Elle me parle, mais je ne comprends pas. Elle est aimable et souhaite que je sois à l’aise. L’ultime fois que j’ai ressenti cette chaleur et ce confort à mon réveil était chez ma grand-mère Thériault lorsque j’étais gamine. Alors que maintenant je suis volubile au réveil, plus jeune, je prenais des heures avant de prononcer une parole. J’étais hypnotisée par mes émissions à la télé. Enfin, pendant que j’observe la télévision sans vraiment l’écouter, je sais qu’Olga cuisine le déjeuner. Olivier se réveille. J’ai faim et le déjeuner est prêt depuis déjà quelques minutes. Notre breuvage est un thé noir. Le pudding au riz allie les saveurs de sucré et de salé. Je mange tout, mais ceci j’en suis incapable. Je mange donc beaucoup de pain badigeonné d’une confiture de fraise trop sucrée. Dehors, il pleut. La température invite au confort de l’intérieur. Olga tente de guérir la cheville d’Olivier en l’emballant de feuilles de chou. Les Russes improvisent des techniques médicinales douteuses. En effet, un homme à Vladimir, vendeur de cacahuètes dans la gare d’autobus, s’était dit ancien médecin pour tenter de guérir Olivier. Ses mains tordaient sa cheville dans tous les sens comme les aiguilles d’une montre fouttue. En attendant qu’Olga termine son traitement, je pars courir dans la rue par excès d’énergie. Je reviens à la maison. Je taquine le chaton roux et blanc. Nous devons retourner aujourd’hui à Moscou.

Chronique : Souzdal, la ville aux milles dômes
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