Dans la région de Toronto, quatre jeunes Noirs sur dix abandonnent leurs études avant l’obtention de leur diplôme d’études secondaires. La criminalité et la drogue affectent particulièrement les membres de cette communauté. Quant à savoir si une école afro-centriste aidera leur situation, les avis sont partagés chez les spécialistes de l’Université Laval interviewés par Impact Campus. Ce projet n’est pas mauvais en soi, selon Denis Jeffrey, directeur du Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de l’Université Laval. « L’orientation des cours dans certains domaines spécifiques comme la musique, les sports ou l’apprentissage des langues donne des résultats positifs, affirme M. Jeffrey, alors pourquoi cela ne fonctionnerait-il pas dans le cas de l’afro-centrisme ? » Pour se donner bonne image Jean Plante, directeur du Département des fondements et pratiques en éducation et professeur depuis plus de 30 ans, croit quant à lui que le problème est la « remise en cause de l’éducation pour tous ». M. Plante craint en effet que notre système d’éducation « commence à créer des classes sur demande, pour les Blancs, les Noirs, les homosexuels, les hétérosexuels, etc. » M. Plante affirme cependant que « la dévalorisation des Noirs est marquante » au Québec. Il donne pour exemple la Société Radio-Canada à Montréal qui « utilise des Noirs de service comme Normand Brathwaite » pour se donner « bonne image ». Il constate aussi que l’Université Laval « emploie peu de professeurs noirs ». « Les femmes ont réussi » Par ailleurs, Jean Plante estime que la « séparation des cultures » aurait pour effet « de créer des querelles entre les groupes » culturels et ethniques. Selon lui, l’afro-centrisme permet de « valoriser l’action des Noirs tout au long de l’histoire », ce qu’il compare avec « les femmes qui ont revendiqué leur statut social en s’isolant de la société masculine pour mettre en valeur leur rôle ». « Les femmes ont réussi », remarque le directeur du Département des fondements et pratiques en éducation, mais il précise qu’« entre les hommes et les femmes, les rôles sociaux sont clairs et il n’y a pas de danger de guerre ». Le professeur craint que ces « rôles sociaux » ne soient pas aussi clairs lorsqu’il est question d’ethnie. « J’ai peur à cause de la ségrégation raciale », affirme-t-il, ce qui pourrait ultimement mener à la violence. C’est également ce que croit Bogumil Jacek Koss, professeur d’histoire à l’Université Laval. « C’était plus facile pour les femmes, car elles représentent la moitié de la société », affirme l’enseignant, ajoutant du même souffle que « la perspective multiculturaliste complique les choses » dans le cas des Afro-Canadiens. Pire que le système actuel Ayant enseigné au Congo (ancien Zaïre) pendant plus de huit ans, M. Koss affirme que « dans le multiculturalisme canadien, il n’y a pas de présence de l’histoire des Africains ». Cependant, il pense que l’on « ne peut résoudre ce problème en créant un espace spécifique et fermé » comme l’école afro-centriste de Toronto. M. Koss croit « qu’on ne peut fonder l’éducation dans une société multiculturaliste sur une base ethnocentrique ». Il conclut en affirmant « comprendre le désarroi des parents » noirs face au décrochage mais, selon lui, « les résultats avec cette école seront plus désastreux que le système actuel ». La ségrégation existe déjà « La ségrégation existait déjà » dans notre système scolaire actuel, affirme en entrevue Denis Jeffrey, faisant référence au système privé et public. Il donnait en exemple les écoles privées qui « choisissent » leurs étudiants et « rejettent » les moins performants. Par ailleurs, certains projets similaires à l’école afro-centriste ont déjà vu le jour dans le passé. En effet, l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue possède son pavillon des Premières Nations, un cégep créé exclusivement pour les étudiants autochtones, population méconnue du grand public. On peut aussi penser aux écoles hassidiques, milieu très hermétique, qui ne favorise pas non plus le multiculturalisme.
École afro-canadienne à Toronto : Ségrégation, meilleure éducation ?