Au Brésil, l’éducation est un défi majeur pour le gouvernement qui a mis en place depuis quatre ans un programme d’éradication du travail infantile. Avec la réélection de Luis Ignaço Lula, le dimanche 29 octobre 2006, le gouvernement s’est engagé à favoriser l’accès à l’enseignement aux enfants touchés par la pauvreté car la scolarité constitue le meilleur moyen pour lutter contre l’exclusion sociale engendrant violence et prostitution. Pour présenter des initiatives indépendantes des discours politiques, concentrés sur les problèmes des villes surpeuplées, nous avons travaillé en Amazonie brésilienne avec les professeurs du centre d’éducation infantile Cajueiro à Alter do Chão (Pará). Lors de sa création en 2002, par des parents souhaitant permettre aux enfants de 3 à 6 ans d’avoir accès à l’éducation, le centre regroupait 12 enfants issus de seulement 5 familles. Cette structure institutionnelle a rencontré un véritable succès et a élargi sa capacité d’accueil d’années en années. Cette école privée peu soutenue par les aides publiques fonctionne grâce à l’entraide des familles. Les parents constituent un pot commun pour distribuer des bourses aux familles qui n’ont pas les moyens de payer la scolarité de leurs enfants. Ils ont choisi de l’appeler Cajueiro parce que les enfants raffolent du fruit de cet arbre placé au centre de la cour. Cette année, le centre a agrandi sa capacité d’accueil et les professeurs acceptent dans leurs classes multi niveaux les enfants jusqu’à l’age de 10 ans. En janvier 2006, l’arrivée de Fernanda Abucham qui travaillait pour l’ONG Institut Paradigme a permis aux enfants de plus de 6 ans de continuer leur scolarité au centre. Pour sa première année comme professeur, l’équipe éducative lui a proposé de s’occuper d’une classe multiseriadas (multiniveaux), de quinze enfants âgés de 6 à 10 ans. « Durant mon cursus universitaire en sciences de la pédagogie, nous avons constitué un petit groupe afin de proposer une manière d’éduquer basée sur la participation active des enfants (…). Je ne sépare jamais les enfants, pour la même leçon, je fais deux types d’exercices, un pour les niveaux 1 (6 – 8 ans) et un plus complexe, niveau 2, pour les 9 – 10 ans. Quand les plus âgés ont fini, ils vont aider les plus jeunes. Cette entraide entre les enfants développe les liens de solidarité et le respect des différences ». Loin d’une éducation formelle et nationalement uniforme, les professeurs adaptent leurs cours à la culture locale et au contexte environnemental. En effet, situé au cœur de l’Amazonie, entre Belém et Manaus, la population est issue du métissage entre les Européens venus s’établir dès la fin du dix-neuvième siècle et la population native, principalement Borari. Les traditions régionales sont l’expression de ce métissage. « Les légendes et les traditions prennent une place importante dans l’enseignement. Parfois, les enfants me demandent si c’est la vérité mais je ne contredis jamais l’avis des habitants. Par exemple, il existe dans le folklore local, un personnage protecteur de la forêt : le Curupira. Un débat s’engagea dans la classe et pour répondre, j’incitais les enfants à questionner les habitants du village. Une personne âgée est venue à l’école nous conter sa rencontre avec le personnage mythique », nous raconte Fernanda. Elle poursuit : « Pour l’anniversaire de la ville en juin 2006, nous avons décidé de retracer son histoire. Partant d’hypothèses allant de 100 ans à 2 000 ans, les enfants réussirent en interrogeant leurs aînés et en consultant les archives de la ville à retracer les 248 ans d’installation (…). Je considère que mon rôle n’est pas de donner une vision de la vérité mais d’apprendre aux enfants à chercher les informations ». En plus des enseignements obligatoires entre 7h00 et 11h15, chaque après-midi, des parents volontaires proposent des activités. Les enfants ont l’occasion de s’initier à la musique, au chant et aux arts plastiques. L’ouverture au sein de l’école d’un point culturel en partenariat avec l’association brésilienne « Saude e Allegria » a permis aux adolescents de la ville de se familiariser avec l’usage de l’informatique et de créer un journal bimensuel faisant participer les gens de la ville. Depuis la sortie du premier numéro en mai 2006, cette expérience ne cesse d’être renouvelée et les sujets traités se diversifient. En valorisant la vision de la jeunesse par l’écriture, le journal consigne l’histoire et le patrimoine culturel de la communauté. Diana Siilva, la coordinatrice du point culturel s’occupe du programme « éducation environnementale ». « Avec les enfants, nous organisons des collectes de déchets et des pièces de théâtre pour sensibiliser la population. Il y a quelques mois nous avons fait une sortie en forêt pour planter des graines. Je souhaite montrer aux enfants que l’avenir de la forêt dépend de notre comportement. Nous avons déjà des résultats, au mois d’août, les enfants ont eu l’idée de faire des pancartes pour éviter que les gens jettent leurs déchets n’importe où ». Chantal Victoria, la directrice du centre, réaffirme la nécessité de reproduire cette initiative dans des communautés plus reculées. « Une fois par mois, je prends le bateau pour aller rencontrer les communautés Caboclos installées le long du Rio Tapajos et de la Transamazonica. Nous discutons de l’enseignement pour former des professeurs, nous tentons de trouver des solutions pour résoudre les problèmes économiques et nous créons les bases d’échanges entre les écoles. 96% des écoles du Pará fonctionnent avec des classes multiniveaux. Ainsi, avec les professeurs nous souhaitons consigner nos expériences dans un livre et établir une méthodologie de ce type d’enseignement. Au-delà des débats sur l’apprentissage, l’isolement des communautés en Amazonie exige le développement d’une éducation multiseriadas permettant aux enfants de conserver leurs traditions tout en disposant des connaissances nécessaires pour s’insérer dans la société nationale ». En descendant le Tapajos, nous avons rencontré des communautés qui utilisent Internet pour garantir leur sécurité. En effet, isolées en forêt, sans moyen de communication, elles se retrouvent dépourvues face aux extracteurs de bois ou aux cultivateurs de soja qui n’hésitent pas à utiliser des menaces pour les expulser de leurs terres. En formant la jeune génération à la culture écrite, les professeurs donnent la possibilité aux communautés de se défendre contre ces mécanismes d’expropriation foncière provoquant l’exode rural et l’entassement des individus en périphérie urbaine, dans des abris en bois, sans eau ni électricité. Lorsque nous questionnions les professeurs sur la participation du gouvernement, les réactions étaient critiques à son égard. Les financements accordés entraînent un manque de matériel et une situation précaire. En effet, le centre d’éducation Cajueiro repose sur la participation des parents. « Si les plus riches décident d’arrêter leur apport financier, nous ne savons pas comment nous allons continuer », nous confie Fernanda. Chantal nous parle de son arrivée de São Paulo en 2005. « Mon premier travail a été de construire une salle de classe. Avec l’aide de parents d’élèves, cela nous a pris deux mois (…). Le gouvernement met en place des subventions, mais les demandes doivent être formulées pas les mairies qui se désintéressent du sort des communautés ». En général, l’avis de l’opinion publique considère les cultures rurales comme des résistances au progrès. Chantal à donc décidé d’aider les professeurs de vingt écoles à formuler eux-mêmes les projets pédagogiques. Ce travail de rédaction doit accroître l’indépendance des écoles pour bénéficier des aides gouvernementales. « Je crois qu’au Brésil nous cherchons encore les idéaux républicains : l’éducation, la santé, etc. Et le gouvernement Lula va dans ce sens en encourageant l’espace pour la différence ». Cette volonté d’adapter l’enseignement au contexte régional pour lutter contre l’uniformisation des mœurs et des coutumes est appuyée par l’Université Fédérale du Pará à Belém (UFPA) qui développe depuis quelques années un programme intitulé « pédagogie de la terre ». Les étudiants et les chercheurs organisent des conférences pour diffuser et valoriser les savoirs locaux : les langues, les connaissances de la biodiversité, les traditions, les chants, etc. Ces initiatives intellectuelles font de la région du Pará, un des centres d’intérêt du gouvernement brésilien et peuvent sensibiliser la communauté internationale sur ces formes d’apprentissage. Néanmoins, les professeurs nous informent qu’elles reçoivent un salaire de 380 réals par mois (146 euros). « Ce salaire est juste suffisant pour assurer la location d’une chambre et acheter de la nourriture. Nous ne pouvons pas faire de projets personnels sur le long terme et malgré notre volonté de partager nos connaissances avec les enfants, nous ne pouvons pas dire si nous ferons ce travail toute notre vie. » Trop d’incertitudes planent sur le destin de ces femmes ayant choisi de quitter leur ville natale pour participer à l’amélioration des conditions sociales des communautés d’Amazonie. N’est-il pas logique pour le gouvernement brésilien d’écouter leurs revendications et de prendre des mesures pour améliorer les conditions de travail du personnel enseignant ? Les professeurs que nous avons rencontrés espèrent que leurs initiatives au centre d’éducation infantile Cajueiro seront reconnues et qu’avec la réélection de Lula, elles obtiendront les subventions nécessaires pour étendre leurs programmes aux communautés du Rio Tapajos. Ainsi, le nouveau gouvernement à quatre ans devant lui pour affirmer sa volonté d’accompagner sa jeunesse et ainsi assurer l’avenir du Brésil où 30 % de la population est âgée de moins de 15 ans. Image : Rio Tapajós, Santarém, courtoisie Marcelomdrs, FlickR.com
Éducation environnementale : le Centre d’éducation Infantile Cajueiro