« À partir d’aujourd’hui, le Kosovo est fier, indépendant et libre », a déclaré le premier ministre kosovar, Hashim Thaci à la suite de l’adoption à l’unanimité de la déclaration d’indépendance de cette province serbe de deux millions d’habitants. À la suite de l’annonce officielle, des milliers de Kosovars en liesse ont déferlé dans le centre-ville de Pristina pour célébrer en brandissant le drapeau albanais. « Le Kosovo réclamait son indépendance depuis très longtemps, surtout depuis l’effondrement de l’ex-Yougoslavie, et le contexte actuel était propice à une telle décision », commente madame Aurélie Campana, titulaire de la Chaire du Canada sur les conflits identitaires et le terrorisme et professeure au département de science politique de l’Université Laval. Un contexte qui s’est mis en place à la suite de la publication en mars 2007 du rapport Ahtisaari de l’ONU qui concluait à la légitimité de la sécession du Kosovo, mais surtout après l’élection d’indépendantistes à la tête du parlement kosovar en novembre dernier. Réponse de la communauté internationale Dès le lendemain, plusieurs pays ont officialisé la reconnaissance du nouveau pays dont les États-Unis et les gros joueurs de l’Union européenne que sont la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie. En voulant témoigner rapidement leur support au gouvernement du premier ministre Thaci, ces pays entérinaient l’idée que cette sécession représente la fin du démantèlement de l’ex-Yougoslavie, mais surtout un aboutissement logique aux répressions exercées par les Serbes durant les années 1990 contre la majorité albanaise du territoire. Dans un discours officiel, le président américain a précisé qu’il était persuadé que l’histoire prouverait le bien-fondé de son appui et qu’il croyait que l’indépendance « apporterait la paix ». Cet enthousiasme n’est pas partagé pas tous, à commencer bien sûr par la Serbie qui ne digère pas l’affront que lui a fait le Kosovo en agissant unilatéralement. « Se voir retirer une partie de son territoire sans son consentement, c’est dur politiquement et la Serbie en est affaiblie », souligne Madame Campana. D’autant plus que la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui a statué sur l’intégrité territoriale de la Serbie en y incluant le Kosovo comme une province autonome, devrait être encore en vigueur. Pour Belgrade, nous assistons donc à une atteinte flagrante aux principes du droit international. Cette perception est partagée par d’autres pays, notamment ceux qui sont composés de multiples ethnies ou qui sont aux prises avec des velléités indépendantistes sur leur territoire comme l’Espagne, la Roumanie, Chypre ou la Slovaquie. Mais l’acteur d’envergure qui soutient Belgrade est sans conteste la Russie. À l’instar des autres pays défavorables à un Kosovo indépendant, elle craint que les événements de dimanche dernier ne se transforment en précédent créant toute une vague de sécessions, notamment sur son propre territoire. « Nous soulignons les dangereuses conséquences d’une telle action qui menace l’ordre mondial et la stabilité internationale qui se sont développés dans les dernières décennies » a signalé Seigei Lavrov, ministre russe des affaires étrangères. Mais derrière cette rhétorique sur la stabilité mondiale et sur le secours porté à son petit frère slave, il est clair pour Madame Campana que Moscou met de l’avant un autre agenda, celui de son repositionnement en tant qu’acteur incontournable sur la scène européenne et internationale. Elle souligne que « la Russie ne lâchera pas sur ce dossier puisqu’elle y voit une occasion de s’affirmer, ce qu’elle n’a pu faire en 1999 lorsque l’OTAN a bombardé le Kosovo, malgré sa désapprobation manifestée au Conseil de sécurité de l’ONU ». Par contre, il n’est pas exclu que la Russie se serve de l’exemple kosovar pour promouvoir la reconnaissance internationale de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, deux anciennes provinces de la Géorgie indépendantes de facto depuis le début des années 1990. Dans les discours du Kremlin, le cas du Kosovo est donc à la fois créateur d’instabilité et représente un levier pour favoriser l’émancipation de ses alliés. Une autonomie à acquérir Une fois complétée l’étape cruciale qu’est la reconnaissance internationale du nouvel État, le gouvernement de Pristina fera face à un défi colossal pour assurer sa survie. Depuis les neuf années où le Kosovo se trouve sous administration onusienne et sous la protection de l’OTAN, peu a été réalisé pour lutter contre la pauvreté généralisée, la paralysie de l’économie et la corruption endémique qui accablent les Kosovars. Pour améliorer les conditions de vie de sa population, le premier ministre Thaci aura besoin d’une aide importante de la part de ses alliés. « La viabilité de cet État kosovar ne sera possible qu’avec l’aide des puissances qui l’ont soutenu, les États-Unis en particulier et l’Union européenne qui devra assurer un soutien économique, financier et en termes d’expertise sur le plan institutionnel et juridique », assure Madame Campana. La chercheuse suggère qu’à court et à moyen terme les organisations internationales vont demeurer bien présentes au Kosovo, d’autant plus que la transition est un processus particulièrement difficile pour les pays anciennement communistes qui n’ont pas d’antécédents historiques de démocratie. Tensions ethniques Au-delà de la création d’institutions démocratiques, le défi fondamental qui attend les dirigeants de ce nouveau pays des Balkans est l’instauration d’un climat de tolérance entre les diverses ethnies qui le peuplent. Les tensions sont particulièrement vives entre la majorité albanophone, 90% des Kosovars, et les quelque 200 000 Serbes qui vivent surtout au nord du territoire dans des enclaves dont les frontières sont protégées par des soldats de l’OTAN. Une tranquilité relative est maintenue depuis 1999, mais dans les faits, l’incompréhension demeure entre les deux ethnies qui s’attribuent mutuellement la responsabilité de leurs rapports houleux. Les souvenirs associés au démantèlement de l’ex-Yougoslavie dans les années 1990 continuent de hanter les Kosovars albanophones persécutés par l’armée de Slobodan Milosevic. Quant aux Serbes du Kosovo et aussi de la Serbie, ils dénoncent le repli sur eux-mêmes des albanophones et leur obstination intraitable à vouloir se séparer du reste du pays alors que ce territoire est considéré comme le berceau historique et religieux de leur culture. « Si nous les Serbes, abandonnons nos racines, le Kosovo et l’histoire, alors qui sommes-nous ? », a déclaré le premier ministre Serbe, Vojislav Kostunica. Toute une dimension identitaire s’ajoute donc à la perte du Kosovo qui ne fait qu’attiser la colère des Serbes. Devant cette réalité difficilement réconciliable où persiste la haine de l’autre, l’habileté du gouvernement du premier ministre Thaci et des instances internationales à créer un climat de tolérance au sein du Kosovo indépendant devrait être mise à l’épreuve très rapidement. 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La naissance difficile du Kosovo indépendant