Encadrement pour l’adhésion
Grâce à la création du programme Phare en 1997, les Pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) candidats à l’entrée dans l’Union Européenne ont pu bénéficier d’une assistance financière en matière d’investissements et de renforcement des capacités institutionnelles. La création d’un tel projet était justifiée par la complexité de certaines réformes requises pour devenir membre de l’UE. Après l’adhésion des 10 nouveaux états membres en mai 2004, la mise en œuvre des feuilles de route pour celle de la Bulgarie et la Roumanie est devenue un élément essentiel. Comme le souligne la Cour des Comptes européenne, un montant total de 511 millions d’euros, ainsi qu’une enveloppe de 1 400 millions d’euros ont été affecté respectivement à la Bulgarie et à la Roumanie, dans le cadre des programmes nationaux Phare pour les années 2000-2004. Perspectives économiques
Avec un PNB inférieur à 75% de la moyenne européenne, la Bulgarie figure sur la liste des régions les moins développées au sein de l’Union, en dépit du processus de modernisation économique que suscitent les perspectives d’adhésion. Pour l’année 2006, les analystes prévoient que le taux de croissance économique devrait atteindre un niveau plus élevé qu’attendu et dépasser 6 % du PIB. Précisons en outre que les investissements étrangers directs pour les six premiers mois de l’année s’élèvent à 1,4 milliard d’euro. Quant à la Roumanie, son taux de croissance s’élève à près de 5% grâce, entre autres, aux investissements étrangers, à la forte consommation interne et à une augmentation des fonds de l’UE dans le cadre de l’adhésion. En effet, si les fonds « pré-adhésion » n’excèdent pas 1 milliard d’euro par an, la période 2006-2013 sera dotée d’une enveloppe de plus de 30 milliards d’euro. Ces fonds seront principalement investis dans des projets d’infrastructures et dans la reconversion de l’agriculture.
La Bulgarie recevra quant à elle plus de 11 milliards d’euro de la part de l’Union Européenne entre 2007 et 2013. Ce montant sera principalement affecté au transport (route et rail), à la rénovation des ports et à l’agriculture. Mais quelles sont les réelles opportunités d’affaires en Bulgarie et en Roumanie ? Le nouvel élargissement de l’Union Européenne aura-t-il une incidence sur les investissements dans ces régions ? C’est ce que nous avons demandé à Monsieur Thierry Muschang, International Marketing Advisor, détaché par Arcelor au sein de la cellule International Marketing de l’Union Wallonne des Entreprises et maître de conférences invité de l’IAG. Investisseurs Occidentaux …
Pour Thierry Muschang, les avantages de l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie sont évidents, autant pour l’économie de ces pays que pour nos entreprises belges. Les investisseurs, désireux de réduire leurs coûts, n’ont toutefois pas attendu leur adhésion dans l’Union Européenne pour s’y installer. Ils profitaient de ce fait d’une main d’œuvre bien meilleur marché qu’en Belgique. Il ajoute, « depuis 3 à 5 ans, des sociétés sous-traitent certaines de leurs activités en Bulgarie et en Roumanie. Elles utilisent ces pays comme de grands ateliers de fabrication disposant d’un savoir-faire très bon marché. Ce mouvement est bien ancré dans les mentalités. » Il s’agit donc pour nos entreprises de produire à moindre coût pour demeurer compétitives en Europe Occidentale. « Il faut savoir qu’ en Belgique, un soudeur qualifié sera payé, toutes charges patronales comprises, entre 32 et 37 euros de l’heure. En Roumanie, pour un même niveau de qualification et à fonction égale, une femme sera payée entre 2,7 et 3,2 euros de l’heure. » L’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’Union Européenne ne suscitera donc pas un flux massif des investissements, mais facilitera les procédures administratives et contribuera à rassurer les investisseurs qui n’ont pas encore fait le pas.
En dépit de ces perspectives attrayantes, il semblerait que « la bonne affaire soit déjà faite ». L’écart des salaires se régulant naturellement, les réductions de coûts générées par les délocalisations d’activités vers ces pays tendront à s’atténuer dans les quinze années à venir, comme ce fut le cas en Tchéquie. L’entrepreneur désireux de délocaliser la production aurait du prendre cette décision quelques années auparavant. Et M. Muschang de constater, « faute d’avoir délocalisé à temps une partie de leur production, certaines sociétés ont disparus du paysage belge. » Ce sont désormais les sociétés « locomotives » qui, la consommation locale augmentant corrélativement au niveau de vie, initient le mouvement de délocalisation vers la Bulgarie et la Roumanie en créant des filiales sur place. Dans leur sillage, elles emmènent nombre de sociétés wallonnes, fournisseurs de ces locomotives. Citons le géant pharmaceutique GlaxoSmithKline, véritable générateur de projets à l’étranger pour ses partenaires.
Les secteurs de la production ne sont pas les seuls concernés. Le tourisme va également se développer avec l’arrivée d’agences de voyages et d’hôtels. Les promoteurs immobiliers, acquérant des terrains exploitables, encourageront à leur tour les secteurs de la construction et du génie civil. En outre, l’entrée des deux pays dans l’Union diminuera le risque perçu par les personnes souhaitant se lancer dans l’un de ces secteurs prometteurs. Selon M. Muschang, les problèmes de corruption et de criminalité organisée dénoncées par l’Union Européenne et à laquelle font face tant la Bulgarie que la Roumanie, ne constituent pas un frein pour l’investisseur européen. Au contraire, ces pays se dirigent vers un système plus encadré, impliquant un contrôle plus strict des règles internationales relatives au commerce. Avec le temps, les problèmes viendront à se régulariser. Consommateurs Locaux …
L’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’Union Européenne va également accentuer l’arrivée de produits de grande consommation en provenance des pays de la vieille Europe. En effet, quand le revenu moyen d’une population augmente, le premier phénomène observé est la croissance du secteur de la grande distribution. « Lorsque les consommateurs disposent de moyens plus étendus, ils achètent davantage de produits de la vie de tous les jours… c’est un gage de réussite sociale. » Il existe alors un phénomène de mode dans les pays nouvellement développés pour les produits occidentaux. Au même moment, en Occident, on favorisera l’exotisme des produits étrangers. Cette hausse de la demande pour des produits à haute valeur ajoutée, cumulée à la stabilité politique et financière stimulent le suscitent l’intérêt des grands distributeurs. Raison pour laquelle de nombreux Français se sont installés en Roumanie. Le géant Carrefour fut l’un des pionniers en la matière. Désormais, il est fréquent d’assister à des scènes surréalistes, où « un Roumain conduisant une charrette tirée par un cheval se fait dépasser par une moissonneuse batteuse qui travaille pour des sociétés étrangères. » Vers une restructuration du marché du travail ?
L’adhésion va produire des conséquences considérables sur l’économie des deux nouveaux pays adhérents. Non seulement, la croissance locale que connaîtront ces pays sur les 10 à 15 ans à venir sera bénéfique pour les travailleurs locaux. Mais, ce seront surtout les opportunités d’expatriation vers le marché du travail européen qui se multiplieront. « Les ouvriers iront travailler à l’étranger et rapatrieront la valeur ajoutée dans leur pays d’origine, comme l’ont fait, il y a trois générations, les Italiens établis en Belgique. Ils travaillaient ici et renvoyaient plus de la moitié de leur salaire chez eux. Rapatrier une somme de 1000 euros en Roumanie y augmente considérablement le pouvoir d’achat. » Thierry Muschang qualifie ce phénomène d’ « Eldorado » pour les Bulgares et les Roumains. Il n’en demeure pas moins que les règles qui encadrent l’adhésion des deux pays, mises en place pour rassurer une population craignant l’invasion de travailleurs qui en sont originaires, ne le satisfont pas. « A l’instar de la politique engagée vis-à-vis de la Pologne, l’Union Européenne érige des barrières à la libre circulation des travailleurs. C’est regrettable. D’autant plus, qu’à l’heure des premiers bilans, diverses études démontrent que les craintes suscitées par l’adhésion de ce pays n’étaient pas fondées. Ajoutons en outre qu’en Belgique, de nombreuses sociétés ont besoin de cette main d’œuvre. » « Je n’ai pas la phobie de l’ouvrier roumain qui viendrait nous retirer le pain de la bouche », nous confie-t-il également. Effectivement, les exemples de la Hongrie, de la Tchéquie et de la Pologne témoignent de l’absence de retombées négatives en Belgique liées à l’arrivée de ces nouveaux travailleurs sur le marché. Un constat s’impose malgré tout : la place réservée aux travailleurs non-qualifiés sur le marché du travail se réduit toujours davantage. La globalisation implique une nécessaire diminution des coûts en se déplaçant là où la main d’œuvre est bon marché. C’est une question de survie pour nos entreprises, quelque soit leur taille. Ce phénomène conduira la Belgique à favoriser les personnes plus qualifiées dans des secteurs où la délocalisation ne présente pas d’intérêt : la recherche et l’innovation. « Ce qui nous force à prendre conscience de la nécessité d’être diplomé. »
Au delà de la circulation des travailleurs, il s’agit donc bien d’une réelle restructuration du marché du travail en Belgique. Accompagnée, en prime, d’une crise sociale majeure ? « Il ne faut pas voir tout en noir. Il est clair que beaucoup de personnes souffrent aujourd’hui de la délocalisation de nos entreprises. Mais je parle ici d’une tendance à long terme. La Belgique va devoir s’orienter vers d’autres secteurs et naturellement le marché du travail va s’adapter. »
Roumanie et Bulgarie : Les enjeux économiques d’une nouvelle adhésion