Russie 2008 : un aller-retour impérial ?

Outre les tensions géopolitiques récemment apparues avec les puissances occidentales, partie la plus visible de la politique étrangère russe, celle-ci a connu des transformations fondamentales au cours des dernières années. Comme l’explique Dmitri Trenin dans un article plublié dans Foreign Affairs, jusqu’à tout récemment la Russie avait l’intention d’intégrer la communauté des puissances occidentales. Mais au cours de la présidence de Vladimir Poutine, les dirigeants russes ont délaissé cet objectif politique et ont commencé à recréer leur propre système politico-économique. Au début des années 1990, la nouvelle politique étrangère russe d’inspiration libérale connut une profonde transformation par rapport au style traditionnel des relations extérieures de la Russie. Alors que la politique étrangère soviétique avait été centrée sur le maintien de l’hégémonie militaire sur les territoires d’Europe de l’Est, Boris Eltsine incita les anciennes républiques soviétiques, au moment de la chute de l’URSS, à prendre « toute la souveraineté qu’ils pourraient avaler ». Dans les premières années de l’administration Eltsine, le ministre des Affaires étrangères russe annonça aussi que la nouvelle politique extérieure serait fondée sur des valeurs démocratiques, et la priorité fut accordée à l’intégration économique et politique avec la communauté des États occidentaux. Le système impérial russe, qui s’était perpétué dans l’époque soviétique, subit donc à cette époque un profond recul et plusieurs crurent à l’installation d’une politique étrangère durablement non-impérialiste, libérale et pacifique en Russie. Malgré ces bonnes intentions, les dirigeants russes étaient soucieux de maintenir le statut de puissance, du moins régionale, de la Russie au niveau international. C’est pourquoi des efforts furent paradoxalement faits, durant les deux présidences de Boris Eltsine, pour garder un maximum de liens politiques et économiques avec les nouveaux États indépendants de l’ex-URSS. La Communauté des États indépendants (CEI) fut ainsi instaurée en 1991 pour conserver des structures communes dans les domaines économiques et militaires. Au milieu des années 1990, la Russie et la Biélorussie entrèrent dans un intense processus devant mener à une éventuelle unification et, sous l’influence d’Evgueni Primakov, ministre des Affaires étrangères à partir de 1996, la Russie donna une importance croissante à ses relations avec ses partenaires asiatiques. Le Traité de Shanghai, comprenant la Russie la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan, fut entre autre signé pour développer la coopération et les relations économiques et militaires entre les membres. L’ensemble de ces traités devait ainsi servir à positionner la Russie comme puissance intégratrice dans l’ancien espace soviétique. Plusieurs évènements de la fin des années 1990 et du début des années 2000 ont provoqué un profond retournement dans l’évolution politico-économique russe, qui, malgré ses aspirations de puissance régionale, devait mener vers la « normalisation » de la Russie au sein de la communauté occidentale. La crise financière de 1998 imposa d’abord un profond discrédit aux organisations financières internationales et incita les dirigeants russes à adopter une politique économique plus conservatrice. Les difficultés que la Russie connut dans son processus d’adhésion à l’OMC fît croire à de nombreux observateurs que la Russie recevait un traitement injuste de la part des puissances occidentales en matière commerciale. Enfin, les tensions géopolitiques croissantes, entre autres causées par le retrait américain du Traité Anti Balistic Missile (ABM) en 2002, par les projets d’extension de l’OTAN et du bouclier anti-missile américain en Europe de l’Est et par la multiplication des « révolutions de couleur » dans l’ancien espace soviétique, sont certainement des éléments qui soulevèrent de fortes réactions défensives et un retournement de la politique étrangère de la Russie. À la suite de l’élection de Vladimir Poutine, la Russie accrut ses efforts d’intégration régionale dans les domaines économiques et militaires. En 2001, l’Organisation du Traité de coopération de Shanghai est fondée en tant qu’organisation internationale de plein droit et intensifie la coopération militaire entre ses membres. La Russie crée aussi en mai 2001, la Communauté économique eurasienne (CEE) avec la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan pour libéraliser davantage le commerce commun, et l’Organisation du Traité de sécurité collective en 2003, pour lier les membres de la CEI dans un traité de défense collective. Comme l’exprime Vladimir Poutine en 2003, les dirigeants russes considèrent, à partir de cette période, « l’espace de la CEI comme la sphère des intérêts stratégiques de la Russie ». Au début du deuxième mandat présidentiel de Poutine, l’espace politico-économique de la CEI et de la CEE est ainsi devenu la priorité incontestable de la politique étrangère de la Russie. Cette dernière, selon les termes de Vladimir Poutine, peut ainsi poursuive sa « mission civilisatrice » sur le continent eurasiatique, mission consistant à « s’assurer que les valeurs démocratiques, combinées avec les intérêts nationaux, enrichissent et renforcent leur communauté historique ». Dans les années qui suivront, la Russie réaffirmera d’ailleurs sa présence régionale en installant plusieurs bases militaires dans les pays d’Asie centrale et en renforçant considérablement la flotte de la mer Caspienne. La Russie en sera-t-elle pour autant, en 2008, rendu à affirmer une réelle politique impériale au sein de l’ex-espace soviétique ? Nul ne peut prédire l’issue de la prochaine élection présidentielle, mais cette perspective nous semble improbable pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le prochain président russe sera très probablement un proche de Vladimir Poutine ; celui-ci avait, dès le début des années 2000, rejeté toute ambition impériale pour la Russie. Deuxièmement, outre les discussions concernant l’éventuelle réunification entre la Biélorussie et la Russie, cette dernière n’a montré aucune volonté sérieuse d’annexion territoriale vis-à-vis des portions de territoire ou des États de l’ancien URSS. Enfin, la Russie, malgré le retour en force qu’elle effectue sur la scène internationale depuis quelques années, ne semble pas avoir actuellement les capacités relatives nécessaires pour envisager une réelle politique impérialiste en Asie, dans le Caucase ou en Europe orientale. Par contre, la Russie, suivant par le fait même l’évolution générale de la politique internationale, continuera sans aucun doute dans les prochaines années d’affirmer une politique nationale et internationale de puissance, refusant ainsi d’être intégrée dans un système international en tant que puissance de seconde zone, catégorie dans laquelle elle n’a effectivement pas sa place.

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