Russie : Popularité et oppression

Les élections de la Duma ont donné lieu à de nouvelles manifestations de tendances autoritaires dans l’histoire politique russe. Poutine et son parti, Russie Unie, ne font désormais face à aucune réelle opposition dans la nouvelle Duma. Le régime de Poutine a réussi à limiter toute opposition potentielle grâce à de nouvelles lois électorales, à la manipulation et à l’oppression directe de groupes d’opposition. Quoi qu’il en soit, cela n’éclipse en rien le fait que les Russes préfèrent la Russie de Poutine à n’importe quelle alternative politique instable. C’est là la conclusion à laquelle sont arrivés Janus Gohr, Lena Azimi et Henrik Lindbo Larsen dans le cadre du projet d’observation électorale SILBA. « Aux échecs, on joue selon des règles », répond le joueur d’échecs Garry Kasparov quand je lui demande comment il décrirait les chances de l’opposition s’il devait comparer la politique russe à une partie d’échecs. En effet, l’analogie de Kasparov semble convaincante, vu le contexte politique actuel en Russie. Néanmoins, il est vrai que si Poutine profite d’un si large appui au sein de la population russe, c’est aussi parce que sous sa présidence le pays a connu une période de progrès économique et de stabilité politique jamais vue depuis l’époque soviétique. L’oppression politique arrive en tête parmi les raisons de la victoire. Les nouvelles lois électorales adoptées par le Kremlin ont compromis les chances des petits partis de l’opposition de conquérir des sièges à la Duma. Le seuil est passé de 5% à 7% et les partis ont dû se plier à différentes exigences relatives au nombre de membres ou de signatures requis pour se présenter aux élections. Par ailleurs, les médias affichaient un large parti pris en faveur de Poutine. Bien qu’il existe de petites organisations de médias – principalement des journaux et des sites Internet – le principal média, soit les chaînes de télévision publiques, supportent ouvertement les plans que Poutine a pour la Russie. Enfin, certaines irrégularités survenues durant le processus électoral et les mesures sévères prises lors des manifestations, symbolisées par l’emprisonnement de Kasparov lui-même, témoignent de l’inclination du régime russe à recourir à la violence afin d’empêcher toute alternative potentielle. Il n’existe aucune réelle opposition au parti Russie Unie de Poutine à la Duma. Tous les autres partis détenant des sièges (les communistes, les libéraux-démocrates et Russie juste) sont soit des supporteurs directs de Russie Unie, soit favorables à ses propositions concernant les principaux enjeux. C’est symptomatique du système partisan russe : chaque parti ne s’appuie non pas sur des convictions profondes touchant les questions sociales, mais plutôt sur l’image forte du chef. Cela se traduit par une grande instabilité au sein des partis, rarement fiables. Les partis d’opposition qui ne siègent pas à la Duma, et que Kasparov a tenté d’unir, défendent des politiques vagues et souvent opposées, à l’exception d’être « anti-Poutine ». Et parmi ces partis instables – dont plusieurs tentent de bâtir une opposition malgré les conditions politiques difficiles – Poutine représente la seule option garante de stabilité pour les électeurs. Ceux-ci ont vécu le chaos démocratique des années 1990 : oligarchies, crises économiques et changements de gouvernement. Pour eux, Poutine a amené la stabilité politique, même sans la démocratie. Durant cette période, la situation économique s’est beaucoup améliorée – avec un taux de croissance moyen de 7 % par année – et c’est un fait que les Russes voient en contraste total avec le chaos capitaliste et la pauvreté. En somme, l’oppression étatique combinée à sa popularité personnelle sont à l’origine du succès politique de Poutine. Ceci lui assurera une position privilégiée dans la politique russe, même lorsqu’il atteindra le maximum de huit ans d’affilée à la présidence en mars 2008. Les rumeurs entourant une possible union entre la Russie et la Biélorussie alimentent les spéculations quant à la possibilité de voir Poutine à la tête du pays élargi. Cet article a été écrit par Henrik Boesen Lindbo Larsen, et traduit de l’anglais par Houda Souissi. La version originale est disponible ici. Photo : Manifestation à Moscou, par Henrik Boesen Lindbo Larsen. La description que vous faites de la Russie
de Poutine ressemble étrangement à ce
qu’était la France de De Gaulle. Faut-il s’attendre à un « Mai 68 » russe ?

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